Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

direction aux œuvres philanthropiques (retraites, logemens, etc.) formant une dépense de 136 francs par tête.

La plupart des travaux se faisant à la tâche, l’ouvrier est payé suivant son mérite. Les individus débutent dans l’état d’égalité où la nature nous fait naître : diversement pourvus d’intelligence et de vigueur physique. Le personnel se classe lui-même par une sélection automatique. Au sortir de l’école primaire les enfans entrent à l’école spéciale fondée par M. Schneider. Le rêve d’une instruction intégrale donnée, ou du moins offerte, à l’universalité des citoyens est réalisé dans cette ruche industrielle. Il n’est si petit ouvrier qui n’ait suivi des cours assez complets pour devenir ingénieur. Aussi plusieurs le deviennent-ils et dirigent, des services voisins de ceux où leurs pères sont employés comme simples compagnons. Le plus grand nombre des fonctions les mieux rétribuées de la manufacture est ainsi réservé aux « enfans de la balle. » Le Creusotin n’émigre guère, — 99 pour 100 des ouvriers sont du pays : — de même on immigre peu chez lui.

M. Schneider n’est pas trop fâché, j’imagine, de cet isolement. C’est une intéressante et très noble figure que celle de ce personnage bienfaisant et autoritaire, monarque absolu, aussi pénétré de ses devoirs qu’il est attaché à ses droits. Pour lui, la solution du problème social est tout entière dans l’encyclique du Saint-Père : De conditione opificum. Il n’hésite pas à dire qu’il y a bien des mauvais patrons et à montrer en quoi ils sont, mauvais. Le « bon patron », homme tellement juste que les ouvriers ont pris en sa justice une entière confiance, cherchant à satisfaire leurs besoins, à soulager leurs misères, s’occupant de leur avancement intellectuel et moral, voilà le type qu’Henri Schneider s’est proposé pour modèle, voilà le modèle qu’il est lui-même.

Sa famille le seconde dans cette œuvre ; un détail piquant le montrera. La métallurgie offre peu d’ouvrage aux femmes ; beaucoup ne trouveraient pas dans la localité, depuis surtout que la dentelle en est disparue, le supplément de ressources nécessaires à leur ménage. Mme Henri Schneider s’est mise en quête d’un autre travail ; elle a acclimaté la confection des tricots et, se constituant le mandataire de ces épouses, mères ou filles d’ouvriers, elle ne craint pas d’aller vendre périodiquement, dans un ou deux centres commerciaux, au mieux des intérêts que sa situation la met à même de défendre, les produits dont tous ces braves gens l’ont chargée. Que ces procédés de père de famille aient acquis l’amitié de son personnel à ce patron qui, l’an dernier, faisait cadeau à la ville d’un hospice de 2 millions, on en a plusieurs preuves : peu d’agglomérations usinières sont aussi