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Puis trente hommes armés de tiges de fer et se relayant — les mêmes ne pouvaient tenir plus d’une demi-minute — se ruaient sur cette masse de toutes leurs forces, fouillant sa petite plaie, creusant afin d’arracher la paille ou le grain d’acier moins bon qui s’y était indûment logé. Cette interruption d’une heure allait occasionner peut-être un supplément de frais de 500 ou 600 francs pour cet objet. .Mais aussi c’est au prix de pareils efforts, de pareils scrupules, que le Creusot, quand il mène ses produits concourir dans les polygones, a la douce satisfaction de leur voir décerner partout le premier rang.

Ces travaux n’exigent pas moins de délicatesse que de force : les outils si variés des ateliers de construction ont beau accomplir avec conscience la besogne dont on les charge, ils ne sauraient se passer de la direction soutenue d’ouvriers très experts. C’est le cas des machines à forer, à raboter, aléser, cintrer, etc. Le découpage des tôles se fait à tout petits coups successifs ; le fraisage obtient, avec un mouvement rotatif, une usure artificielle et imperceptible. Il ne faut pas moins de quinze jours pour percer un arbre de marine de 9 à 10 mètres de long ; les grandeurs, dans cette tournerie, sont effrayantes de précision, mesurées au centième de millimètre avec la « roue Palmer », instrument qui sert à apprécier les dimensions microscopiques. La tolérance accordée, en plus ou en moins, n’excède pas i ou 5 « centièmes de millimètre. » Le moulage, pour les objets destinés à être fondus dans ces fosses énormes qui semblent des cathédrales renversées, demande des soins analogues. Tantôt il faut se servir de sable réfractaire, tantôt d’un composé d’argile, de charbon, d’étoupe et de crottin de cheval. Dans ce dernier moulage, suivant la nature de la terre employée, blanche, rouge ou grise, l’ouvrier doit calculer d’avance l’écart exact, variant de 5 à 15 millimètres par mètre, que prendront a la coulée ces matières différentes, écart nécessaire pour permettre l’échappement des gaz.


VII

Une étude de la métallurgie actuelle serait trop incomplète si l’on négligeait d’envisager, à côté des progrès matériels, la situation économique de ceux qui s’adonnent à cette industrie comme capitalistes et comme travailleurs.

Pour les premiers, avouons-le d’abord, s’ouvre un avenir immédiat peu encourageant. Il se fonde des usines nouvelles, la production tend à augmenter sensiblement. Cependant la consommation reste et doit rester assez stationnaire d’ici quelque temps. Les chemins de fer, ainsi que la grande machinerie, sont en