Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuisibles dans le port de Toulon, pour des coques de bateaux amarrés dans un bassin où se jettent les égouts de la ville et où l’eau corrosive agit d’autant plus efficacement sur le fer qu’elle n’est pas renouvelée par la marée.

Pour établir et manœuvrer des objets de dimension et de poids tels qu’un canon de 15 mètres de long, pesant 120 000 kilos, on devine quel outillage est nécessaire. Il y a quelques années, le matériel destiné à l’artillerie a été doublé ; il va l’être encore. Chacun se rappelle, pour l’avoir vu à l’Exposition de 1878, le fac-similé du marteau-pilon de 100 tonnes. Un marteau pesant 100 000 kilos, tombant d’une hauteur de 5 mètres, c’est-à-dire ayant une force de choc de 500 000 kilos et représentant, avec son enclume et son bâti, un ensemble de près de 1 300 tonnes de métal, semblait, il y a seize ans, devoir donner des coups suffisans : il paraît que non, puisque M. Schneider ; en vue de changer les conditions du forgeage, va porter à 125 tonnes cet outil, qui, présentement, n’a que trois rivaux dans le monde et qui bientôt n’en aura plus.

Le marteau de 100 tonnes est déjà dépassé par sa voisine, la grue roulante de 150 tonnes, mue par l’électricité, qui soulève et transporte en se jouant des fardeaux invraisemblables. Il semble enfin bien peu de chose devant les presses hydrauliques de 2 000 et 4 000 tonnes — 4 millions de kilos — chargées de l’étirage et du cintrage des grosses pièces. La perfection, la vigueur de ces outils ne garantissent pas toujours des échecs : il faut souvent fondre les canons deux ou trois fois avant de les réussir. Une plaque de blindage vendue 2 fr. 50 le kilo paraît bien payée lorsqu’on multiplie ce chiffre par les 30 000 kilos qu’elle pèse, ce qui en porte la valeur à 750 000 francs : quand on envisage les détails et les déboires de la confection de ces boucliers contemporains, leur prix n’a plus de quoi étonner.

Avant de se laisser modeler au gré de l’homme, ces formidables morceaux d’acier doivent être réchauffés dans un four à gaz, durant 40 heures de suite, à une température de 1 500 à 1 800 degrés. Lorsqu’on les croit finis, une simple fente les rend parfois inutilisables ; ils sont mis au rebut comme « bocage, » bon à casser et à refondre pour des emplois vulgaires.

J’ai vu traiter sous mes yeux une de ces plaques, dans laquelle le contremaître avait remarqué une bouffissure légère, produite par du gaz emprisonné sous la surface. On abattit les briques du four, on en sortit le bloc, dont la chaleur rayonnante nous étouffait à vingt mètres de là. On recouvrit sa surface de nombreuses housses en tôle, pour en pouvoir approcher, ne laissant visible qu’une étroite place où était le siège du mal.