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toutes les résistances, mettre sur pied n’importe quelle machine, triturer et pétrir par ses pilons ou dans ses fours des blocs formidables, dociles comme la glaise sous le pouce du sculpteur, cet établissement vraiment national du Creusot, qu’un Français ne visite pas sans orgueil, est, comme le précédent, l’œuvre de l’intelligence et du labeur obstiné de deux hommes.

Un acte de 1507 sanctionne l’amodiation, au Crosot, d’une terre à tirer du charbon, « moyennant trois francs deux gros pendant six ans. » C’est en effet au charbon, plus qu’au fer, que doit le jour cette ville de 30 000 âmes, naguère hameau perdu dans un site aride, au milieu des montagnes qui séparent le bassin de la Saône de celui de l’Arroux. Au siècle dernier on appelait ce lieu « la Charbonnière ». La houille, exploitée par les procédés de jardinage indiqués ci-dessus, n’était extraite qu’à faible dose et l’un des propriétaires, le « père Dubois », en laissait prendre sur son terrain, vers 1750, la charge de six chevaux ou de quatre bœufs « moyennant un écu de six livres et autant de vin qu’il en pourrait boire… »

La houille, proscrite des villes au moyen âge, entraînant même, à Paris, condamnation à l’amende ou à la prison pour les maréchaux-ferrans qui l’employaient, accusée de vicier l’air, de jaunir le linge dans les armoires, de provoquer des maladies de poitrine, etc., commençait à être mieux appréciée. Une société se fonda au Creusot en 1784, ayant à sa tête les sieurs Perrier et Bettinger et, parmi ses principaux actionnaires, le roi Louis XVI. Son but était, avec la mise en valeur des mines que l’on venait de découvrir, rétablissement d’une fonderie de fer au coak, initiative hardie dont il n’existait pas d’autre exemple dans tout le royaume.

Quatre hauts fourneaux étaient en marche ; une machine à vapeur du système Watt avait été installée, et la forge se préparait à étendre ses relations à distance, grâce au canal du Centre qui allait être livré à la navigation, lorsque la Révolution éclata. Pendant vingt ans, l’usine se borna à fondre des canons, des boulets et des bombes. Les quatre lions de fonte, placés à Paris sur le perron de l’Institut, furent peut-être la seule commande pacifique faite à l’établissement par l’Etat, durant la période impériale. Soit que ces fournitures fussent peu rémunératrices, soit que le mélange du minerai local, qui ne pouvait être employé seul, avec des fontes étrangères, ait été trop onéreux, un déficit chronique eut bientôt fait disparaître le capital, remplacé par un passif qui croissait à chaque exercice. Lorsqu’en 1818 la société Perrier, qui cherchait depuis dix ans à liquider, eut enfin trouvé un