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Ce genre décommandes venant à cesser brusquement en 1815, il fallut s’ingénier à trouver autre chose. Les Anglais, beaucoup plus avancés que nous alors, se montraient peu disposés à vulgariser leurs méthodes sur le continent pour s’y créer des concurrences. François de Wendel fit son petit « Pierre le Grand » ; il passa le détroit et s’engagea en 1817 comme simple ouvrier dans plusieurs usines britanniques. Il en rapporta cet affinage du fer à la houille, le puddlage, qu’avait inventé au siècle précédent un forgeron, aïeul des futurs comtes Dudley. Il y apprit aussi la construction des laminoirs actuels, — avec les anciens on pouvait seulement rondir le fer, mais non l’étirer. — Par un étrange contraste ce personnage, si novateur en industrie, l’était fort peu en politique. Député ultra-royaliste de l’arrondissement de Thionville, sous la Restauration, un libéral lui faisait l’effet d’un jacobin, et il apportait la même ardeur dans la défense de ses idées que dans le progrès de ses manufactures. Il eut un jour à la chasse, avec son cousin M. de Serre, ancien ministre de Louis XVIII, une discussion politique si vive que, séance tenante, en plein bois, les deux interlocuteurs envoyèrent chercher des épées et se battirent comme des jeunes gens.

A la mort de François de Wendel (1825), Hayange ne produisait que 15 000 tonnes de métal, mais ce métal revêtait des formes innombrables. Chaque forge avait encore son rayon de vente restreint et alimentait ce rayon de tous, les articles possibles en fer, tôle ou fonte : depuis les casseroles et les croix de cimetières, jusqu’aux bandages et aux mors de brides. Au début de l’industrie des voies ferrées et des besoins de marchandises nouvelles, vers 1845, la transformation des usines commença. La recherche du bon marché fit enfin délaisser, dans les hauts fourneaux, le charbon de bois vendu jusqu’à 120 francs la tonne, auquel se substitua le coke qui en coûte présentement 25. Sous la direction de M. Charles de Wendel, associé à sa mère, femme d’une rare intelligence, les forges atteignirent en 1872 un rendement annuel de 180 000 tonnes. Ce succès métallurgique n’avait pas suffi à l’activité des propriétaires d’Hayange ; ils y joignaient dans le voisinage diverses exploitations houillères.

Un jour même, par suite de causes politiques, ce côté de leur industrie fut sur le point de prendre un énorme développement. L’anecdote mérite d’être contée ; elle peut servir à l’histoire. En 1866, au moment où la guerre allait éclater entre l’Autriche et la Prusse, tandis que les deux pays marchandaient à l’envi l’un de l’autre l’alliance de la France, le gouvernement prussien s’avisa tout à coup qu’il était propriétaire sur la rive gauche du Rhin, à