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été bien empêchés de les satisfaire. Après avoir importé des États de Venise, jusqu’au XVIe siècle, certaines têtes dont elle ne pouvait se passer, la France n’avait encore sous Louis XIII, avant la création de la fonderie du Havre, aucun établissement qui pût l’entretenir de canons. Richelieu, pendant la guerre de Trente ans, les achetait en Angleterre, en Hollande surtout, où ils étaient le meilleur marché. L’agriculture, autre gros mangeur de métal, n’en usait alors presque pas. Les essieux de charrette étaient en bois, les pelles aussi ; les roues n’avaient pas de bandages, et les charrues ne consistaient qu’en une sorte de fer de lance, sillonnant les champs d’après la méthode de l’araire des Géologiques.

Hier encore, c’est-à-dire sous Louis-Philippe, bien que la fonte coûtât 300 francs la tonne au lieu de production, — son transport à Paris se payait 45 francs, — ce prix rémunérait si faiblement les maîtres de forges au bois que celles-ci, une à une, s’éteignaient. Grâce aux forges à la houille, et malgré la demande qui n’a cessé d’augmenter, les prix sont tombés au sixième de ce qu’ils étaient en 1840, tandis que la production de la fonte passait, dans le même intervalle, de 350 000 tonnes à plus de 2 millions en 1893. Notre pays cependant, malgré ses progrès contemporains, est déchu du rang qu’il occupait à cet égard il y a trente ans dans le monde, immédiatement au-dessous de l’Angleterre. Celle-ci même, classique fournisseur du globe, a perdu sa prééminence. Son apport de 6 millions de tonnes sur le marché universel est dépassé par celui des États-Unis, qui s’élève à 9 millions. Derrière le Royaume-Uni vient l’Allemagne qui, durant la dernière période, est brusquement montée de 500 000 tonnes à 4 millions et demi. La France n’occupe plus que la quatrième place avec un rendement de moitié inférieur, et à peine triple de celui de la Belgique.


II

Pour nous consoler de l’indigence relative de notre sous-sol, nous pourrions calculer, en prenant pour base l’extraction actuelle et les gisemens exploités, qu’il ne restera plus dans cent ans de minerai de fer en Europe, et que, dans deux cents ans, il n’y demeurera pas un morceau de houille. Mais, — laissant de côté cette préoccupation qui n’a rien d’immédiat, — nous remarquerons que déjà la pénurie de charbon nous oblige à importer le tiers de celui que nous brûlons ; et la moitié du minerai qui alimente nos forges vient de l’étranger. La nature nous ayant ainsi peu favorisés, c’est à la perfection du travail, à l’habileté