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Rhin, il le passera… Il faut que les armées du Rhin n’aient pas de sang dans les veines. Si elles me laissent seul, alors je m’en retournerai en Italie ; l’Europe entière jugera de la différence de conduite des deux armées. » Simples précautions diplomatiques : il était décidé à traiter.

Le baron de Vincent arriva, ce même jour, et les instructions qu’il apportait permettaient aux Autrichiens de conclure sans attendre un nouveau courrier. Tout devint facile et tout fut vite réglé. On rédigea des articles païens, destinés à être communiqués, en France, aux conseils, et en Allemagne, à la diète ; c’est le masque de la paix future : l’Autriche cède les Pays-Bas et reconnaît les limites constitutionnelles ; « la République française fournira, à la paix définitive, un dédommagement équitable à Sa Majesté l’empereur, et à sa convenance » ; elle évacuera les États de l’empereur autres que les provinces belgiques ; il y aura armistice entre la République et l’Allemagne ; il sera tenu un congrès « pour traiter et conclure la paix définitive entre les deux puissances sur la base de l’intégrité de l’empire. » Ces dispositions, si elles avaient un sens, signifiaient que la France évacuerait l’Italie et renoncerait à la rive gauche du Rhin. En réalité, elles préparaient tout le contraire ; c’était l’objet des articles secrets, les seuls qui donnèrent lieu à une discussion.

Bonaparte exigea que l’empereur cédât la Lombardie et ratifiât la conquête de Modène par la République. Il offrit, en échange des Pays-Bas et de ces pays italiens, « la partie de la terre ferme de Venise comprise entre l’Oglio, le Pô, la mer Adriatique », plus l’Istrie et la Dalmatie. Les Autrichiens demandèrent comment il obtiendrait cette cession des Vénitiens. Il n’avait qu’à invoquer les précédens du partage de la Pologne, et il aurait pu se dispenser d’expliquer par quels procédés on amène un État à consacrer son propre démembrement. Il tint à se montrer homme de bonne compagnie, au courant des usages des cours et connaissant le fin des choses. La France, dit-il, est en désaccord avec la République de Venise, et ses griefs lui fourniront le prétexte d’une déclaration de guerre, qui mettra tout le monde on règle avec le droit public. D’autre part, la République de Venise cédera à la France les territoires compris entre l’Adda, le Pô, l’Oglio, la Valteline et le Tyrol : ils seront réunis à la Lombardie, en république indépendante. Venise, réduite aux lagunes et aux îles de l’Adriatique, recevra, en compensation de ses pertes, les trois Légations. Les Autrichiens ne se montrèrent résistans que sur l’article de Modène ; mais Bonaparte demeura inflexible. Le duc, dit-il, a violé sa trêve avec la République ; ses