Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les terres pontificales, et de la différence qu’il fait entre ces terres et celles de la République de Venise : les premières étant bonnes à cueillir, les secondes étant encore trop vertes. C’est ici qu’il faut admirer l’ancien « droit public » dans toute sa fécondité. Bonaparte, s’étant emparé des Légations, les possède par « droit de conquête » ; ce droit entraîne celui d’échange et de cession, ce qui permet, par conséquence juridique, au cessionnaire d’user du droit naturel qu’il a de s’arrondir : mais Venise n’étant point encore conquise, ni Bonaparte n’a « le droit » d’en disposer, ni l’Autriche « le droit » de la recevoir de ses mains.

Le baron de Vincent partit le 15 avril de Vienne avec ces instructions. Les affaires étaient déjà fort avancées à Léoben quand il y revint. Gallo y était arrivé le 14. Bonaparte le perça du premier coup. Il vit en lui un sournois, un important, un timide, qui méditait de tirer quelques marrons du feu pour son maître de Naples. Il le reçut de haut, fit des difficultés pour l’admettre, sous prétexte qu’il était sujet napolitain, puis s’étant de la sorte assuré la supériorité, il consentit à conférer. Il posa en principe l’alternative, c’est-à-dire que, dans les actes, l’empereur ne serait pas toujours placé avant la République. Cette question conduisit à celle de la reconnaissance. Les Autrichiens y mettraient des réserves. « La République française, leur répondit Bonaparte, ne veut point être reconnue ; elle est en Europe ce qu’est le soleil sur l’horizon ; tant pis pour qui ne veut pas la voir et ne veut pas en profiter. » Ce dernier propos mit les Autrichiens à l’aise : ils désiraient éviter la reconnaissance et s’assurer les profils de l’association. Les conférences officielles commencèrent le lendemain. Elles se tinrent dans un pavillon, au milieu d’un jardin, neutralisé pour la circonstance, mais environné, de toutes parts, par les bivouacs français. Les négociateurs disposèrent trois projets : tous les trois stipulaient que l’Autriche céderait la Belgique et le Luxembourg, et reconnaîtrait les limites constitutionnelles, ce qui impliquait la réunion à la France de l’évêché de Liège ; la question de la rive gauche du Rhin était renvoyée à la paix de l’Empire. Les trois projets ne différaient que par les « gradations » des indemnités de l’Autriche : ou une partie des États vénitiens, ou la restitution de la Lombardie, ou une acquisition quelconque à déterminer ultérieurement. Ces propositions furent envoyées à Vienne. Bonaparte écrivit, le 16 avril, au Directoire : « Si l’un de ces trois projets est accepté à Vienne, les préliminaires de la paix se trouveraient signés le 20 avril… Si rien de tout cela n’est accepté, nous nous battrons… Jamais… une rivière n’a pu être un obstacle réel. Si Moreau veut passer le