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est un des plus ardens meneurs de cette besogne. Il y est fort aidé par un certain Landrieux, officier d’aventures, boute-feu d’ancien régime, qui a mis son adresse et son audace cyniques au service de la Révolution. Il s’est organisé à Milan, sous le nom très significatif de « comité de police », une véritable agence de propagande. Landrieux en est l’intermédiaire principal avec les patriotes de Venise. Il joue double jeu, joue à coup sûr et empoche double salaire, dénonçant aux oligarques les complots ourdis par lui-même contre eux, et les entraînant, par la peur qu’ils en ressentent, à des mesures téméraires qui les perdront. « Tous les rois, tous les généraux ont fait de même », rapporte Landrieux, qui se piquait de grandes manières politiques et connaissait son histoire du XVIIIe siècle.

Les Lombards sont tout prêts à servir d’instrumens. À peine constitués en république, ils rêvent déjà d’étendre leurs frontières et de s’agrandir jusqu’à l’Adriatique. Le Comité de police se réunit le 9 mars. L’un des membres, Porro, sorte de Brissot cisalpin, porto la parole et conclut : « L’avilissement des Vénitiens les a fait sortir de la balance de l’Europe… Certainement l’Autriche tentera de les réunir à ses États. Et pourquoi ne les prendrions-nous pas ? Fondons notre État… soyons les premiers, soyons les plus hardis ! » Mais, ajoute cet Italien circonspect, « notre république naissante doit conserver son honneur ; il y aurait trop de risques à le perdre. Ne compromettons pas non plus l’armée française. Entamons par un travail de cabinet cette haute entreprise. Il est impossible que Bonaparte n’approuve pas nos efforts pour l’aider à remplir entièrement sa promesse envers nous. » Un journaliste, Salvatori, révèle que le citoyen Landrieux a lié, « avec une activité singulière, tous les fils d’un soulèvement général ». Si nous, Italiens, prenons Venise, poursuit-il, et si nous la réunissons à la république italienne, l’Autriche criera, mais ne s’opposera pas, persuadée qu’il lui sera plus facile, le cas échéant, de nous en reprendre un morceau que de le prendre directement sur Venise. C’est la conséquence « de ce que les souverains appellent le droit public. »

Le lendemain, 10 mars, Bonaparte reprend campagne. En partant de son quartier général de Bassano, il adresse à son armée une proclamation qui donne le ton des futurs bulletins de l’Empire. Il s’habitue à parler en souverain et à publier ses desseins sous forme de manifestes. 14 batailles, 70 combats, 2 500 canons, 100 000 prisonniers, l’armée nourrie par les contributions, 30 millions versés au Trésor, les musées enrichis de chefs-d’œuvre, deux républiques, la Cispadane et la Transpadane,