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aux armes le petit peuple des villes et les paysans excités contre l’étranger qui pillait leurs églises, blasphémait leurs saints et saccageait leurs granges. « Italie, misérable Italie, lève-toi ! Prenons les armes de Fabius, de Camille, de Scipion, de Sforza et de Colonna, de Doria et de Farnèse. Il est encore temps de sauver la plus respectable, la plus glorieuse et la plus belle partie de l’Europe, la reine des nations ! Aux armes ! Aux armes ! contre l’ennemi avare et impie ! » Invasion des Gaulois et invasion des Français, Brennus et Charles VIII, tout était bon à enflammer les imaginations. Un succès des armées autrichiennes leur eût rendu le courage ; la Toscane eût été entraînée, Gênes se révoltait, le Piémont reprenait les armes, Naples se remettait en mouvement, et partout le paysan se faisait assassin. Une Vendée plus hostile et plus irréductible que l’autre, étant non seulement anti-jacobine, mais anti-française, couvait partout sous les pas des soldats français. C’était l’étrange destinée de la Révolution, aussi bien sous la forme républicaine que sous la forme impériale, de s’associer avec les princes, de gagner à sa cause les nobles amis des lumières, les bourgeois instruits, la jeunesse ambitieuse, tout ce qui constituait, dans l’ancienne Europe, la société éclairée, et de succomber sous les coups de ces masses populaires, de ces masses nationales qu’elle avait déchaînées en France à l’assaut de la monarchie et qui l’avaient fait triompher de l’étranger. On l’avait vu, dès la première sortie des armées, en Belgique en 1792 ; on le revit en Italie dès 1796, puis en Espagne. C’est qu’au fond et malgré l’alliance qui s’était formée entre les jacobins et le parti populaire, la Révolution se propageait ni Europe comme elle avait commencé en France, œuvre de philosophes et de propriétaires, faite pour la diffusion des idées, la liberté de pensée, la liberté du travail, la liberté des personnes et la liberté des biens : partie de l’abolition du régime seigneurial, elle devait trouver son accomplissement dans le Code civil. Les pays pauvres, ceux où la propriété n’était point divisée, où les paysans n’étaient que des ouvriers ruraux, où les peuples habitués à obéir, assez doucement traités d’ailleurs par leurs maîtres, étaient trop peu émancipés pour désirer une existence plus libre, ne voyaient dans le conquérant « libérateur » qu’un ennemi de leur indépendance, de leur repos, d< leur religion. « Nous remarquâmes, écrivait un soldat après l’insurrection d’une ville d’Italie, que dans cette révolution il n’y avait que la petite populace. » Les séditions éclataient çà et là, sournoises, imprévues, sauvages, sanguinaires. Une défaite, et armée, affamée, était massacrée dans sa retraite. Bonaparte eût connu les horreurs