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la ratifier quand Bonaparte l’aura conclue ? Sur cet article, Clarke se montre aussi explicite que sur le précédent.

Le Directoire entend assurer à la France les « limites constitutionnelles », c’est-à-dire les pays réunis par décrets de la Convention, en octobre 1795 : la Belgique, l’évêché de Liège, le Luxembourg ; s’il est possible d’y joindre une partie ou la totalité des pays allemands de la rive gauche du Rhin, le Directoire estimera avoir fait un coup de maître. Comme il n’est pas assez victorieux ni assez fort pour imposer la paix, il l’achètera. C’est, en réalité, un pacte d’échange qu’il s’agit de négocier. La République s’engage délibérément dans l’ornière de la vieille Europe. Pour forcer les monarchies à reconnaître la révolution accomplie, le Directoire, après le Comité de l’an III, ne trouve pas d’autres combinaisons que celles que les monarchies ont employées, en 1792 et 1793, pour empêcher la révolution de s’accomplir. La coalition se dénouera, ainsi qu’elle s’est nouée, par des contrats de trocs, d’ « indemnisations » et d’arrondissemens. Et comme il n’y a point de terrains vagues en Europe, comme il n’y a plus de Pologne à démembrer, que l’Empire turc est trop loin des prises, ce sont les territoires d’Allemagne et d’Italie qui serviront aux transactions républicaines, comme ils devaient servir aux transactions monarchiques. Les peuples demeurent la matière politique, divisibles connue ils sont imposables. Ceux d’Allemagne devront s’estimer trop heureux de passer de la domination des princes ecclésiastiques sous celle des princes laïques. Sécularisation est synonyme, pour les directeurs, de progrès des lumières. Le Directoire s’informe des qualités politiques des Italiens conquis ; il demande si Milan, Reggio, Bologne, Ferrare, sont « vraiment mûres pour la liberté », capables de se défendre par elles-mêmes ou disposées à se soumettre à l’Autriche : c’est affaire de calcul, non de principe. Suivant ses besoins, le Directoire restituera le Milanais à l’Autriche ou le constituera en république. Il en sera de la Bavière, avec laquelle il a signé, le 7 septembre, une convention non encore ratifiée d’armistice, comme de Venise avec laquelle il n’est pas en guerre. « Vous connaissez, avait-il dit à son envoyé, les torts réels et graves de Venise à notre égard. » Les peuples de la Terre ferme passent pour disposés à la liberté : selon les occurrences, on pourra les affranchir et les joindre à la République lombarde.

« Ce système de compensations — avait dit au général Clarke le ministre des relations extérieures, Delacroix — admet une multitude de combinaisons que vous pouvez effleurer dans vos conversations afin de démêler quelles sont celles qui plairaient