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Mais, quoi qu’en pense l’Economist, l’altitude de son gouvernement sur cette question a été, de tout temps, assez déconcertante. Lord Salisbury — et peut-être cela était-il plus spirituel — aimait à dire que tout allait bien en Égypte ; seulement il en concluait que, quand un jardin donnait de si belles roses, il ne fallait pas changer le jardinier. On était alors dans les années de calme qui, d’après l’Economist, devaient faciliter l’évacuation : voilà la leçon qu’en tirait lord Salisbury. Aujourd’hui, sous le gouvernement de lord Rosebery, on aime mieux présenter les choses du mauvais côté et les colorer en noir, mais la conclusion est la même : impossibilité d’évacuer. Nous comprenons que quelques journalistes français se laissent aller à perdre un peu le sentiment de la mesure en présence de cette fin de non-recevoir en partie double ; mais nous ne les excusons pas. Il faut toujours garder son sang-froid. La seule chose qui pourrait les excuser, par comparaison, est la facilité avec laquelle les autorités anglaises perdent le leur en Égypte, ce qui est assurément plus grave ; car enfin les journalistes malavisés ne font que des articles de mauvais goût, tandis que les autorités anglaises font des tribunaux d’exception : réplique victorieuse, mais un peu disproportionnée à son objet.

L’Economist conclut que la persistance de l’hostilité française a tué le parti de l’évacuation en Angleterre. « Tout cela, dit-il, est si évidemment vrai que nous avons de la peine à croire que la Fiance essaie véritablement à nous pousser hors de l’Égypte, et ne cherche pas plutôt à nous ennuyer au Caire uniquement pour nous arracher des concessions ailleurs. De même que les Irlandais, elle nourrit ses griefs et les entretient avec soin, comme une précieuse ressource nationale. » Que faut-il penser de ce morceau ? Exactement ce qu’en pense l’Economist lui-même, car il écrit avec quelque embarras : « Ce que nous disons là est peut-être un peu tiré par les cheveux. » C’est bien ce que nous en pensions. La France a toujours considéré la question d’Égypte comme assez importante pour être traitée en elle-même ; elle ne s’en est jamais servie et ne s’en servira jamais comme d’une monnaie d’échange ; elle persiste d’ailleurs à avoir confiance dans la bonne foi de l’Angleterre, qui a promis d’évacuer, et qui choisira certainement son heure pour le faire. L’espèce de bourrasque que nous venons de traverser est enfin tombée et apaisée ; il n’en restera bientôt aucun souvenir. Nous aimerons mieux nous rappeler l’éloquent et charmant discours que le représentant de l’Angleterre parmi nous, lord Dufferin, a prononcé, le 22 février, au banquet de la Chambre de commerce anglaise, à Paris. Il était impossible de parler un langage à la fois plus spirituel et plus obligeant. Un seul mot a été dur, mais il était, en somme, assez légitime : « En dépit d’un certain courant d’esprit critique, a dit lord Dufferin, qui, si nous devions attacher quelque