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vaste et aussi compliquée qu’un gouvernement, avouera que ce qu’il accomplit a droit à toute notre admiration. Il serait aussi injuste de lui comparer les plus célèbres des ministres européens qu’il le serait de comparer le meilleur boulanger de Londres à Robinson Crusoé, qui avant de pouvoir cuire un seul pain, avait à fabriquer sa charrue et sa herse, ses barrières et ses engins pour effrayer les corneilles, sa faucille et son fléau, son moulin et son four. »

Macaulay a-t-il attaqué la vie privée de Hastings et sa probité personnelle ? Nous lisons dans le venimeux essai que cet homme d’État n’était point un flibustier ; que s’il montrait peu de scrupules dans les affaires d’argent, il n’était ni avare ni rapace, ni occupé de remplir ses poches ; qu’il n’aurait tenu qu’à lui de tirer des vassaux de la Compagnie et des princes voisins plus de trois millions sterling et d’éclipser à son retour la splendeur de Carlton-House ; que la fortune qu’il rapporta en Angleterre était celle que peut honnêtement acquérir un gouverneur général qui a de l’ordre et sait faire des économies. Aussi Macaulay n a-t-il eu garde de s’associer aux ires d’Edmond Burke, d’approuver ses diatribes, ses véhémentes philippiques. Il reproche à ce grand orateur que son imagination, sa passion, son humeur irritable corrompaient sa justice et troublaient son bon sens, que sa raison, quelque puissante qu’elle fût, devenait l’esclave de sentimens qu’elle aurait dû diriger, qu’il ne savait voir ni les circonstances atténuantes ni les mérites qui rachetaient les fautes ; qu’il aurait dû comprendre qu’un homme qui a gouverné durant treize ans un empire peut avoir commis des actions condamnables, et mériter pourtant, tout considéré, tout rabattu, des récompenses et des honneurs plutôt que l’amende et la prison.

Ajoutons que Macaulay a rendu autant de justice que M. Malleson lui-même à la prodigieuse égalité d’âme de Hastings, à l’étonnante constance qu’il opposait au malheur, à l’emploi qu’il fit de sa vieillesse, à la dignité que conserva dans ses dernières années ce patriarche, qui oubliait ses maux, ses traverses, Fox, Sheridan et la goutte, en cultivant son jardin ou en écrivant des vers élégans et soignés. Peut-être en faisait-il trop ; ce qui est certain, c’est qu’il aimait à les montrer. « S’il faut le dire, ajoute le malicieux essayiste, il nous semble avoir ressemblé à Trissotin plus qu’on ne pouvait s’y attendre de la part d’un esprit aussi puissant et d’un homme qui avait joué un si grand rôle dans ce monde. On nous assure que la première chose qu’il fit tous les matins était de composer une pièce de vers. Quand la famille et les hôtes se réunissaient, le poème faisait son apparition aussi régulièrement que les œufs et les petits pains. Quant à nous, nous sommes obligé de dire que si bon que pût être le déjeuner à Daylesford, nous aurions cru le payer trop cher si on nous avait astreint à gagner notre