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« Il s’est répandu à Paris, dit M. Joly de Fleury à Hecquet, que vous deviez différer l’exécution de l’arrêt du Parlement du 4 du mois dernier contre… Comme je ne comprens pas d’où ce bruit peut provenir, et qu’il ne peut y avoir aucun prétexte à aucun délay, vous aurés agréable, aussitôt ma présente lettre reçue, et dans le cas où ledit arrêt n’aurait pas encore été exécuté, de faire procéder sans délay à son exécution et de m’en donner avis aussitôt. »

À l’heure même où le procureur général traçait ces lignes, celui auquel elles étaient adressées lui écrivait en ces termes :

« Du 1er juillet, 1766.

« Monseigneur, l’exécution s’est faite avec tout l’ordre possible. Le condamné a avoué à la question tous ses crimes. J’aurai l’honneur de vous envoyer sous peu de jours l’extrait du procès-verbal de torture. »


VIII

Il faut ici revenir en arrière, au jeudi 26 juin, à l’heure du départ de de La Barre et de ses bourreaux. Ce jour-là, Linguet reçut un avis. On l’engageait à se calmer, à se faire, à interrompre le Mémoire qu’il composait en faveur du chevalier. Déjà les propos qu’au mois de mai précédent il avait tenus au palais sur la condamnation de Lally lui avaient attiré toute sorte d’inconvéniens. Force fui donc à Linguet de retrancher une partie de son œuvre, et, abandonnant au bourreau une de ses victimes, de s’occuper exclusivement, dans son Mémoire, des jeunes Moisnel, de Saveuse et de Maillefeu.

Pendant ce temps, le chevalier accomplissait son dernier voyage. Mais aussitôt, après son départ on s’aperçut d’un grave oubli. On avait omis d’expédier avec lui le Dictionnaire philosophique ! L’émoi fut universel au parquet du Parlement. Malgré sa qualité de doyen, le substitut Boullenois dut recevoir une sévère réprimande, et M. Joly de Fleury s’occupa en personne des mesures indispensables pour expédier à temps le criminel dictionnaire. Il y parvint, secondé par M. de Sartines. Le 27 juin, il écrivait de sa main à Hecquet la lettre suivante, qui narre par le menu tout ce grave incident : « Le sieur Muron, inspecteur de police, est party cette nuit pour reconduire les sieurs Lefebvre de La Barre et Moisnel dans vos prisons ; mais on s’est aperçu ce matin qu’on avait obmis de remettre à cet officier de police un sac qui avait été envoyé au greffe du Parlement contenant les livres saisis à votre requête dans la chambre du sieur