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délicates. On sait que le roi Léopold, il y a déjà quelque temps, a manifesté l’intention de céder le Congo à la Belgique, et dès ce moment le gouvernement de la République a dû se préoccuper de ce que deviendrait notre droit de préférence lorsque cette éventualité se réaliserait. Depuis, le bruit a couru, et il se trouve confirmé, que le roi, devançant l’époque où il s’était proposé de faire ce transfert, était à la veille de l’accomplir. Dès lors, la question prenait pour nous un caractère d’urgence qui ne nous permettait plus d’atermoyer : il fallait absolument arriver à une solution qui ne laissât place à aucune ambiguïté.

Notre droit date du mois d’avril 1884. À cette époque, deux lettres ont été échangées entre M. Strauch, président de l’Association internationale du Congo, et M. Jules Ferry, président du Conseil et ministre des affaires étrangères, par lesquelles un droit de préférence était assuré à la France pour le cas où l’Association serait amenée à réaliser ses possessions. Plus tard, l’État indépendant a remplacé l’Association internationale ; mais il a hérité de ses obligations et de ses charges, et, par conséquent, il a dû reconnaître notre droit. Toutefois, en 1887, le gouvernement du Congo nous a fait savoir que, tout en reconnaissant ce droit, et même en le confirmant, le roi l’interprétait dans ce sens que nous ne pourrions pas l’opposer à la Belgique. Nous aurions pu protester alors, et soutenir que notre privilège n’admettait aucune exception; nous ne l’avons pas fait : nous nous sommes bornés à donner acte au gouvernement congolais de son interprétation, en tant qu’elle n’était pas contraire aux engagemens antérieurs. Que valait exactement cette réserve ? Peu de chose, à notre avis. Elle avait été faite pour maintenir la question ouverte jusqu’au jour où elle devrait être définitivement résolue par le fait de l’accession du Congo à la Belgique ; mais, dès ce moment, la disposition où était la France de ne pas opposer son droit à cette dernière était très clairement indiquée.

Il était prudent, sans doute, de conserver un moyen de nous dégager pour le cas où nous aurions eu à nous plaindre soit du Congo, soit de la Belgique, et où la cession se serait faite avec des conditions périlleuses pour nous; mais, dans le cas contraire, le gouvernement congolais et le gouvernement belge étaient autorisés à croire qu’ils ne nous rencontreraient pas entre eux pour empêcher leur accord. Cette politique était sage. User de notre droit contre la Belgique aurait été en abuser. Il était naturel et légitime que le roi Léopold eût toujours entendu réserver à son pays la belle colonie qu’il avait fondée en Afrique au prix de beaucoup d’argent et de beaucoup d’efforts. Mais il devait être expressément stipulé que si nous renoncions à opposer notre privilège à la Belgique, celle-ci le reconnaîtrait dans sa plénitude, et renoncerait elle-même à céder la totalité ou une partie quelconque de ses possessions avant de nous avoir mis en