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Il pourra dissiper bien des nuages, mais ici encore il faut dire ; Pourvu que son gouvernement s’y prête, ce qui n’est pas, de sa part, une disposition constante. Dans ces derniers temps en particulier, M. Crispi a paru désirer qu’on ne le crût pas très bien avec nous. Le rappel même de M. Ressman, les attaques dirigées par la presse italienne contre notre propre ambassadeur à Rome, la malencontreuse affaire du capitaine Romani, ont créé une situation qui serait devenue facilement tendue, si nous nous y étions tant soit peu prêtés. Mais nous nous sommes bien gardés de le faire. Nous ne sommes pas à la veille d’élections générales, et, si nous y étions, nous n’aurions pas besoin, pour parler fortement aux esprits, d’exciter le chauvinisme national. Peut-être n’en est-il pas tout à fait de même de M. Crispi. Dans la lutte acharnée qu’il poursuit contre ses adversaires, et où il déploie une fertilité de ressources et une force de caractère peu communes, il compte certainement beaucoup sur l’exaltation du patriotisme pour atteindre le but qu’il s’est proposé. Il veut qu’on ait le sentiment que la patrie, c’est lui; qu’il en est le rempart, comme il est le rempart du trône, ne pouvant pas, à son grand regret, être en même temps celui de l’autel ; que lui seul soutient un édifice battu des flots de tous les côtés. De notre côté pourtant, les flots sont restés calmes, et rien n’a pu leur donner même une apparence d’agitation. Il est en vérité impossible, en ce moment, de faire croire à un danger de conflit en Europe. Aussi M. Crispi s’est-il tourné vers l’Afrique, et a-t-il envoyé en Abyssinie des renforts qui portent à 12 ou 13 000 hommes les forces dont dispose le général Baratieri. On connaît les succès récens que ce général a obtenus : la France ne pouvait en prendre aucun ombrage. Que l’Italie trouve en Afrique de la gloire et des avantages dont la civilisation profitera, rien de mieux. Tout ce que nous lui demandons, c’est qu’en se développant de son côté, elle nous laisse notre liberté du nôtre. Elle n’ignore, ni notre situation au golfe de Tadjoura, ni l’arrangement que nous avons conclu autrefois avec l’Angleterre à propos du Harrar. Dans toutes ces régions, nous avons des titres antérieurs, des droits, des intérêts que nous ne pouvons pas sacrifier. Au cours de la discussion du budget des Affaires étrangères, M. Flourens a posé à M. Hanotaux une question à ce sujet, et ce dernier s’est borné à répondre que dans toutes les affaires d’Afrique il avait montré une décision d’esprit et de caractère qui devait inspirer confiance à la Chambre.


Il avait le droit de tenir ce langage, et il l’aurait eu plus encore quelques jours après, lorsque a été publié l’arrangement passé avec la Belgique à l’occasion du Congo. Cet arrangement prouve qu’entre deux pays voisins et deux gouvernemens qui veulent s’entendre, l’accord est toujours possible, même sur des questions