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conserver une ambassade auprès du Vatican. Ne fût-ce qu’à l’occasion de son protectorat sur les catholiques d’Orient, elle aura toujours des affaires politiques à traiter avec le Saint-Siège. Ne voyons-nous pas, d’ailleurs, des puissances qui n’ont pas les mêmes raisons que nous d’avoir à titre permanent un représentant auprès du pape, y envoyer des chargés d’affaires provisoires qui finissent par s’y éterniser? , L’Église catholique, qu’elle soit ou non séparée de l’État, est, dans tous les pays du monde, une puissance avec laquelle les gouvernemens doivent compter. Si, à un moment quelconque, nous venions à supprimer notre ambassadeur, ou même à le remplacer par un simple ministre, nous aurions seulement diminué, avec notre influence, l’efficacité de notre action. M. Prudent-Dervillers a parlé des ménagemens que nous devons à l’Italie : sans doute, mais ils ne vont pas jusque-là. L’Italie ne peut pas s’offenser, ni même s’étonner que nous restions fidèles à une vieille tradition. Son gouvernement serait probablement très heureux de pouvoir, malgré la faible distance qui sépare le Quirinal du Vatican, entretenir, lui aussi, un ambassadeur auprès du souverain pontife. Ce ne serait pas, à ses yeux, de l’argent mal employé. Si nous supprimions le nôtre, il en serait enchanté, cela va sans dire, mais ne nous en saurait aucun gré : il tâcherait seulement de profiter de la faute que nous aurions commise.

On a beaucoup parlé, depuis quelques jours, des rapports de la France et de l’Italie : le départ de M. Ressman, et la nomination, à sa place, de M. le comte Tornielli ont servi de prétexte. M. le comte Tornielli est sur le point d’arriver en France; il y sera bien reçu. Rien ne serait plus injuste que de lui tenir rigueur du rappel de M. Ressman : lui-même n’a-t-il pas été rappelé de Londres dans des conditions à peu près analogues ? Quelles que soient les intentions avec lesquelles son gouvernement l’envoie auprès de nous, il ne tardera pas à s’apercevoir que les nôtres ont toujours été et qu’elles sont restées parfaitement amicales à l’égard de l’Italie, et, cette constatation faite, il lui sera difficile d’avoir une autre attitude que son prédécesseur. On assure qu’il est homme de parfait bon sens et de sang-froid. Dans une seule circonstance, les journaux lui ont prêté un langage qui ne semblait pas le désigner à l’ambassade de Paris. C’était à Londres, dans un banquet, au moment où nous recevions les marins russes. M. le comte Tornielli aurait déclaré avec beaucoup d’humour qu’en Italie, lorsqu’on faisait accueil à des amis, on ne mettait pas la maison sens dessus dessous. Hâtons-nous d’ajouter que ce propos a été démenti aussitôt, et qu’il l’a été encore depuis, avec des assurances qui n’en laissent rien subsister. Nous ne voyons qu’un fait dans la nomination de M. le comte Tornielli : c’est qu’il a la confiance de son gouvernement, et cela nous suffit, — pourvu toutefois qu’il la conserve, lorsqu’il lui fera part de ce qu’il aura vu et entendu à Paris.