Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le cœur a de ces contradictions. Tels sont d’ailleurs les effets de l’« âge difficile » ; et en cela même consiste l’enseignement que l’auteur a voulu nous donner. Nous passons condamnation, bien persuadés au surplus qu’il est telles postures ridicules et malpropres où jamais un Chambray ne se laissera surprendre. Il a déjà mis à la raison le mari de Yoyo. Voici que Yoyo maintenant essaie sur lui ses séductions. Il accueille les avances de la jeune femme de la façon même que nous avions prévue, et lui répond avec une franchise dépourvue d’élégance. Ce grain de brutalité ne nous déplaît pas. Un Chambray ne saurait être dupe des évanouissemens sur commande. Attendez. Que s’est-il donc passé? Tout d’un coup, Chambray conclut le marché qu’on est venu lui proposer. Il sera auprès de Yoyo le successeur de son neveu. Subitement, il s’est converti à la doctrine du « tout à la joie ». L’austère Chambray s’est changé en Chambray le fêtard. Cependant il reçoit la visite d’une vieille dame qu’il a aimée du temps qu’elle était jeune. Il suffit de quelques mots d’entretien et Chambray opère en sens inverse une conversion aussi brusque et soudaine que celle à laquelle nous venons d’assister. Décidément si cet homme est de fer, c’est à la manière des girouettes, qui tournent à tous les vents.

Cette inconsistance éclate de façon plus significative encore dans la conduite des personnages du Pardon. Suzanne a trompé son mari. Grâce à un interrogatoire que le mari lui fait subir dans une scène cruelle, — admirable d’ailleurs de hardiesse et de vérité, — nous savons très bien comment les choses se sont passées. Suzanne est romanesque. Elle est de celles qui aiment à aimer. Son mari est un laborieux, très absorbé par des travaux scientifiques, obligé à de fréquentes absences, et à qui il arrive de négliger sa femme. L’amant, bon psychologue et spécialiste avisé, a profité de ces circonstances. Il a meublé un appartement. Suzanne y est venue. Elle y est revenue. Nous savons tout cela. Suzanne n’en sait rien. Quand elle y songe, elle se demande, dans toute la sincérité de son cœur, comment cela a bien pu arriver, et si par hasard ce ne serait pas l’histoire d’une autre. — Thérèse est l’amie de Suzanne, mais elle ne lui ressemble guère. Elle n’est pas romanesque. Elle est raisonnable. Elle est froide. Elle désapprouve Suzanne de toutes les forces de son honnêteté et de toute la conviction de son insensibilité. Bientôt d’ailleurs elle se conduit exactement de la même manière que sa coupable amie. Et il est bien vrai que chez elle la faute nous paraît moins digne d’excuse, parce qu’il nous avait semblé qu’elle fût moins accessible à l’entraînement. — Georges a été trompé par sa femme. Il a souffert dans son amour-propre. Et il a souffert aussi dans son amour. Car il aime vraiment celle qui l’a trahi ; il l’aime, même infidèle; il le prouve en pardonnant. Il jure que désormais le passé sera aboli, qu’il n’en sera plus jamais question, qu’une vie nouvelle va commencer. A peine a-t-il fait ce serment qu’il y