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à la corriger ou à en changer, pourvu qu’on nous en donne de bonnes et valables raisons. Mais les savans, — j’ai grand soin, comme on le voit, de ne plus dire la « science », et de ne plus parler comme si la science était représentée par les savans, — la plupart des savans n’admettent pas que l’on discute leurs conclusions, ni seulement qu’on les critique. J’en appelle pour preuve à la fureur d’opposition que soulèvent parmi eux tous les novateurs ! Ceux qui n’ont à la bouche aujourd’hui que les grands noms de Claude Bernard, de Darwin, et de Pasteur, n’oublient en effet que de nous dire, lorsqu’ils les prononcent avec tant d’emphase, ce que Pasteur, Darwin, et Claude Bernard ont dû dépenser de courage et de génie pour triompher des prétendues certitudes que leur opposaient les savans de leur temps. Lisez plutôt le livre étonnant que Flourens, il n’y a pas quarante ans, écrivait sous le titre d’Examen du livre de M. Darwin sur l’origine des Espèces. C’était au nom de la science et des faits qu’il parlait, comme encore, et plus récemment, l’illustre professeur Peter quand il s’acharnait à nier les découvertes de Pasteur. Et quelle indulgence, aussi bien, voulez-vous que témoignent à l’erreur, — comme ils l’appellent, — des gens qui se croient en possession de la certitude, des moyens de la démontrer, et du pouvoir ou du droit de l’imposer ? Les contredire ou leur résister, ce n’est pas manquer seulement d’esprit scientifique, mais c’est s’inscrire en faux contre la vérité même ! Ils en ont reçu le dépôt, et, plutôt que de le trahir, ils le défendront de toutes les manières, quibuscumque viis, ce qui est bien, si je ne me trompe, la formule de l’intolérance. Autre danger de l’éducation purement scientifique ! Les grands savans, les vrais savans, qui se la donnent à eux-mêmes, ont quelquefois l’art d’en éviter les dangers, mais ils n’en transmettent pas toujours le secret à leurs élèves, et, en attendant, elle encourage, elle favorise, elle nourrit chez les demi-savans l’esprit d’intolérance et d’orgueil. « On ne discute pas avec les catholiques, ni avec les spiritualistes, » écrivait hier même l’un d’entre eux, demi-physiologiste et demi-psychologue ; et Calvin ni Torquemada n’auraient pu certainement mieux dire ; — et croyez qu’il ne s’en doutait pas !

Pour toutes ces raisons, — et bien d’autres encore que l’on pourrait ajouter, — si l’on veut faire du collège « un lieu d’enseignement moral » ou « rendre une âme à l’école, » il convient donc et avant tout qu’à tous les degrés de l’enseignement secondaire et primaire, on mesure et qu’on dose, avec infiniment de prudence et de tact, la part beaucoup trop considérable de l’instruction scientifique. Je ne parle pas, bien entendu, de l’enseignement supérieur.