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que nous venons d’essayer de les définir, il est clair que l’éducation et l’instruction non seulement n’ont plus de rapports entre elles, mais elles sont devenues la sourde et dangereuse contradiction l’une de l’autre. Tandis que l’éducation continuait, par un reste d’ancienne habitude, de tendre au progrès pacifique de l’institution sociale, au contraire, l’instruction ne tendait, de toutes les manières, qu’au progrès de l’individualisme. Bien loin de s’aider ou de se soutenir comme autrefois, elles se séparaient tous les jours plus profondément l’une de l’autre ; le fossé se creusait entre elles; et, si nous écoutons les plaintes ou les avertissemens qui se font entendre de toutes parts, nous en sommes venus au point que l’on désespère aujourd’hui de les réunir.

Ce n’est pas une raison de ne pas l’essayer. Sublata causa, tollitur effectus, dit un ancien adage : quand on connaît la cause du mal, c’est une chance au moins que l’on a d’en trouver le remède; et Claude Bernard a fondé là-dessus toute la « médecine expérimentale. » Sachant comment s’est opéré le divorce actuel de l’éducation et de l’instruction, nous avons dans cette connaissance même quelque moyen de les rapprocher, sinon encore de les réunir. Puisqu’on avoue que « la qualité de l’instruction ne s’accroît pas avec la quantité », comme aussi que « l’instruction ni n’implique ni ne contient l’éducation, » c’est d’ailleurs un grand point de gagné. Pour en gagner deux ou trois autres, il nous faut préciser encore davantage, et dire maintenant quelles causes plus particulières ont, de notre temps, aggravé ou accéléré les effets de la cause plus générale que nous venons de mettre en évidence.


II

« Je n’exagère pas en affirmant qu’il n’y a pas un de nos économistes du XVIIIe siècle qui n’ait fait dans quelque partie de ses écrits l’éloge de la Chine... Ce gouvernement imbécile et barbare... leur semble le modèle le plus parfait que puissent copier toutes les nations du monde... Ils se sentent émus et comme ravis à la vue d’un pays dont le souverain absolu, mais exempt de préjugés, laboure une fois l’an la terre de ses propres mains..., où toutes les places sont obtenues dans des concours... qui na pour religion qu’une philosophie, et pour aristocratie que des lettrés. » C’est Tocqueville qui s’exprime ainsi dans un des plus curieux et des plus pénétrans chapitres de son Ancien Régime. Otez le « souverain absolu», —ou, si vous le voulez, appelez-le du nom de « suffrage universel », — n’est-ce pas encore aujourd’hui