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l’ « excellence de la nature, » les Encyclopédistes ont donné pour but à l’éducation, de « développer toutes les puissances d’un être, » comme si, parmi ces « puissances » il n’y en avait pas de radicalement malfaisantes! Et c’est enfin depuis que le plus mal élevé de nos grands écrivains a violemment désuni deux des choses les plus inséparables qu’il doive y avoir au monde : le droit de l’individu et celui de la société.


Quel est ou quel devrait être, en effet, l’objet propre de l’éducation? Si nous le demandons aux plus écoutés de nos pédagogues, ce serait, disent-ils, de former des hommes, et je le veux bien, mais en le disant ils n’oublient qu’un point : c’est qu’il y a beaucoup de sortes d’hommes. On peut se proposer de former des « athlètes; » on peut se proposer de former des « gens du monde » ; et si nous connaissions une manière assurée de former des saint Vincent de Paul, évidemment on ne l’emploierait pas à former des César ou des Napoléon. La vraie question est donc de savoir quelle sorte d’hommes nous voulons former, et, tout justement, c’est ici que la difficulté commence. Condorcet l’avait-il sentie, quand, — dans le premier de ses Mémoires sur l’Instruction publique, — il posait en principe que « l’éducation publique doit se borner à l’instruction? » Et il en donnait de fort bonnes raisons, parmi lesquelles je me contenterai de relever celle-ci, que « la liberté des opinions deviendrait illusoire si la société s’emparait des générations naissantes pour leur dicter ce qu’elles doivent croire. » Mais ce scrupule fait voir trop de délicatesse ! Nous pouvons bien regretter, — et personnellement je le regrette, — que l’éducation ne soit pas demeurée chose privée; nous ne pouvons pas faire qu’il n’existe une éducation publique et que, par conséquent, il n’y ait lieu de songer à l’organiser. Et j’admets, d’autre part, que la première vertu d’un programme ou d’un plan d’éducation soit la facilité même avec laquelle il variera selon les circonstances : il peut y avoir un temps de former des « soldats », et il peut y en avoir un autre de former des « marchands ». Mais ce programme ne saurait pourtant flotter toujours, et il faut qu’il contienne quelque chose de fixe. Nous plaindrons-nous éternellement de l’insuffisance actuelle de l’éducation, sans dire une fois de quoi nous nous plaignons? et réclamerons-nous à perpétuité des « chaires de pédagogie » sans préciser ce que nous souhaitons qu’on y enseigne?

Non, sans doute; et d’autant que, pour le dire, nous n’avons besoin ni de méditations si profondes, ni surtout de tout cet appareil dont nos éducateurs s’embarrassent? Mais il suffit de