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statue chryséléphantine. Tandis que les chairs, polies avec soin, gardent le ton clair du marbre, la couleur jaune du casque joue le ton de l’or; les cheveux et les sourcils rouges, l’iris brun sombre, laissent croire que le peintre a usé d’une coloration conventionnelle, faute de pouvoir traduire toutes les nuances des ors et des pierres précieuses. C’est là, dira-t-on, une copie d’une œuvre chryséléphantine, c’est-à-dire un cas exceptionnel. Consultons donc d’autres copies, derrière lesquelles on entrevoit sans peine l’original en marbre. Il y a, au British Muséum, une précieuse tête en marbre, soigneusement protégée par une cage de verre contre les influences atmosphériques. Trouvée en 1884 à Rome, elle provient sans doute d’une statue qui ornait les jardins de l’Esquilin; et le style, la forme de la coiffure, dénoncent une réplique d’un original grec, remontant au IVe siècle[1]. A voir le ton jaune clair de la chevelure, le ton de chair rosé qui couvre encore aujourd’hui le front, les joues et le cou, les pupilles noires des yeux, on n’hésite guère à croire que le copiste a respecté la polychromie du modèle. L’a-t-il traduite avec toute la délicatesse désirable? C’est une autre question; mais le témoignage a trop de valeur pour que nous reprochions au peintre de s’être montré un assez pauvre émule de Nicias. Du marbre de Londres il faut rapprocher encore une tête de déesse, acquise en 1888 par le musée de Dresde, et dont la chevelure blonde est serrée par une sphendoné rose, tandis que le visage garde des traces manifestes d’un patinage à la cire[2]. Joignez-y encore une curieuse statuette d’Aphrodite, découverte en 1873 à Pompéi, très coquette sous son manteau orangé à doublure gris bleu et à bordure blanche, et accostée d’une petite figure archaïsante en peplos jaune et chiton vert[3], vous aurez la preuve qu’au premier siècle de notre ère la polychromie du marbre est encore fort goûtée des Romains. Personne ne s’étonnera de voir dans les fresques pompéiennes des reproductions de statues peintes, avec une coloration assez soutenue pour le ton des chairs. Est-ce là seulement une concession faite à la curiosité des dilettantes ? La polychromie reste-t-elle une sorte de régal d’amateur, et l’exclut-on de la statuaire officielle, qui multiplie les statues d’empereurs ou de hauts personnages ? Ici encore nous aurions des raisons de croire le contraire. Nous citerons seulement un exemple fort précis. On connaît la belle

  1. Elle est reproduite, avec ses couleurs, dans la planche I du Jahrbuch des arch. Instituts, 1889, t. IV. La planche est accompagnée d’un article très étudié de M. G. Treu, p. 18.
  2. Elle est signalée par M. G. Treu, Arch. Anzeiger, p. 98; Jahrbuch des Arch. Inst., 1889.
  3. Dilthey, Arch. Zeitung, 1881, p. 131, pl. VII.