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par des contemporains de Scopas. Malgré l’intérêt de ces bas-reliefs, où l’on a reconnu avec raison le début de la sculpture historique dans l’art grec, nous ne pouvons nous arrêter qu’à l’objet de notre étude. Or, bien loin d’accuser une décroissance de la polychromie, le « sarcophage d’Alexandre » nous la montre plus florissante que jamais. Elle a trouvé des ressources nouvelles. Au lieu des trois ou quatre tons employés par les peintres du VIe siècle, le décorateur dispose d’une palette très riche, qui comprend le violet, le pourpre, le bleu, le jaune, le rouge carminé, le rouge-brun et peut-être le bistre. Au lieu de restreindre timidement le champ de la peinture, il prodigue les tons pleins, étale largement la couleur sur les tuniques et les manteaux flottans, et fait jouer cette gamme si variée avec une singulière aisance. « L’enlumineur de notre sarcophage, écrit M. Théodore Reinach, est un véritable coloriste : non seulement il imite avec une précision minutieuse la teinture compliquée des étoffes orientales, — les tuniques à fond uni, bleu, pourpre ou rouge, brodées 4e petits carreaux ou ornées d’un empiècement de couleur différente, les paremens tranchant sur les manches, les manches sur les manteaux, les pantalons striés, pointillés ou tigrés parfois de trois tons, les tapis de selle avec leurs galons éclatans et leurs broderies figurées, — mais encore il excelle dans l’art délicat de réjouir l’œil par des contrastes très francs et néanmoins très harmonieux[1]. » La polychromie ne se limite pas aux vêtemens et aux accessoires. Les têtes, avec leur chevelure brun rouge, leurs yeux où l’iris bleu ou brun est soigneusement indiqué, ont une singulière expression de vie. On peut, à ce point de vue, examiner, dans la scène de la Chasse au lion, la tête d’Alexandre : le regard, fixé sur la bête qui mord au poitrail l’un des chevaux, a toute l’intensité, toute l’énergie qu’un peintre se serait attaché à rendre dans un tableau. Voici par surcroît un fait essentiel, très fécond en conséquences. La difficile question de la coloration des nus se trouve éclaircie par des témoignages certains. Les nus étaient recouverts « d’une sorte de frottis léger et transparent, de valeur uniforme, jaune clair ou foncé, suivant qu’il s’agissait d’un Grec ou d’un Barbare, sans aucune tentative de rendre par des nuances multiples l’aspect varié des chairs... Ces glacis sont si différens des teintes plates, opaques et consistantes appliquées sur des parties de draperie, le temps en a si bien rongé le voile fluide, qu’au premier aspect on pourrait s’imaginer qu’il n’y a là que le marbre naturel doré par les années ». Ainsi, vers 320

  1. Les Sarcophages de Sidon au musée de Constantinople, Gazette des Beaux-Arts, 1892.