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du sculpteur, il suffira d’un ton uni, et ce ton est emprunté à une couleur conventionnelle, le brun rouge, dont l’emploi restera familier, même beaucoup plus tard, aux peintres de statues. En opposition avec cette coloration mate et solide, les chairs du visage restent claires, et le ton du marbre reparaît avec ses transparences. D’autre part, les lèvres sont rouges ; l’arc des sourcils et les paupières sont soulignées d’un trait noir; la pupille est noire, et entourée d’un cercle rouge figurant l’iris. La polychromie, autrefois totale et complète, se limite donc à certaines parties; à celles-là mêmes qui, dans la nature vivante, tranchent par leur coloration naturelle sur la couleur de la peau. Si l’on passe au costume, on observe le même recul des tons pleins qui font une place à la blancheur du marbre. Ici encore la couleur se réfugie dans le décor, dans les larges bandes brodées de grecques et de méandres qui courent sur le devant du chiton ou aux bords du peplos ; dans les galons qui bordent le col de la chemisette ; dans les fleurons, les rinceaux, les croix qui forment sur la draperie un léger semis. Partout ailleurs, le ton du marbre rappelle la chaude blancheur des étoffes de laine ou de lin, et si le peintre ne renonce pas absolument aux tons pleins, il les réserve pour les surfaces les plus limitées, comme le haut de la chemisette qui apparaît sous la draperie du peplos. Cette polychromie devenue partielle, l’enlumineur l’applique avec beaucoup de précautions; il prend soin de graver à la pointe une sorte d’esquisse du décor, et ce trait léger guide son pinceau pour suivre le dessin compliqué des grecques, ou les fins contours des fleurons. C’est d’ailleurs là un procédé qui n’est pas particulier aux Attiques : la statue assise de Charès, au British Museum, celle de la Niké d’Archermos, au Musée central d’Athènes, conservent également les traces de cette esquisse gravée, qui atteste l’application de la peinture, alors même que tout vestige de couleur a disparu.

Voilà donc la statue peinte suivant les règles de la polychromie archaïque. Sur le fond du marbre se détachent des tons mats, solides, sans transparence. Les tons qui dominent dans cette gamme, d’ailleurs très restreinte, sont toujours ceux de la polychromie monumentale, c’est-à-dire les bleus et les rouges, ici largement étalés, comme sur la chevelure ou sur le chitonisque, ailleurs savamment combinés pour former le décor chatoyant des bandes et des semis. Quelques fins traits noirs soulignent les détails des yeux et l’arc des sourcils; çà et là, sur les pendans d’oreille et sur le bandeau qui couronne la coiffure, la dorure met un éclat métallique; le pinceau du peintre a terminé son œuvre.

Ainsi coloriée, la statue a-t-elle pris l’apparence de la vie?