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Elle partit alors. Si jamais il y eut quelque ressemblance entre elle et Marie-Antoinette, ce fut à cette dernière heure. Comme la reine le 10 août, elle entendait, de la même place, les mêmes clameurs, et quittait les Tuileries pour n’y plus rentrer. Mais la reine avait vu des Français combattre et mourir pour sa cause. L’impératrice disparaissait escortée d’une seule femme, sa lectrice, et de MM. de Metternich et Nigra, deux étrangers. Et, misère des malheurs politiques, à cet instant où elle aurait eu tant besoin d’être plainte et aimée, elle ignorait si les derniers protecteurs de sa fuite songeaient à elle, ou ne servaient que leur pays. Par la salle des États et les galeries du Louvre ils parvinrent à la place Saint-Germain-l’Auxerrois. Un fiacre passait. Les deux femmes y montèrent : ce n’étaient plus que deux femmes, en effet. Il était quatre heures. Le drapeau qui flottait sur le dôme des Tuileries durant le séjour du souverain fut amené. Le droit impérial disparut avec son emblème, sans laisser plus de traces, et sans faire plus de bruit.


VII

L’histoire est longue des infortunes souveraines. La Puissance qui juge les puissances les sait abattre sans se répéter jamais, et d’un geste toujours nouveau fait tomber les couronnes avec ou sans la tête des rois. Mais dans l’infinie variété des fins douloureuses, en est-il de plus cruelles que la chute du second empire ? Nombre de dynasties, sans doute, ont péri avec plus d’éclat et d’une mort plus solennelle, dans l’embrasement des guerres civiles, par le fer des assassinats, sous les coups des exécutions politiques. Ici, ce qui est hors de pair, c’est la multitude et l’humiliation des blessures. L’empire n’a pas été atteint par la hache, il a été passé par les verges, dont chaque coup avilit, dont aucun n’achève.

Reconnaissez l’empereur dont la France et l’Europe ont vu la gloire et célébré le génie. Sa volonté, qui animait tout, s’arrête. Il doit abdiquer le pouvoir militaire. Il tente d’exercer son pouvoir politique. Celui-là aussi lui est disputé par une femme, et la sienne, et ses propres serviteurs lui interdisent les portes de son palais. Après avoir eu plus de droits que nul souverain, il en est plus dépouillé que nul autre : on a honte de lui, on le cache. Il erre, ombre lamentable, autour de tous ses pouvoirs perdus, et trouve un dernier refuge dans l’armée qui, muette, du moins ne l’insulte pas. Et déjà l’impératrice subit à son tour le même sort qu’elle a fait à l’empereur. Elle l’a écarté, on l’écarté elle-même ; et sa place est prise par un corps législatif renommé