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nuisible ? Mais elle comprit que la défiance, même injuste, quand elle est générale, dépossède le pouvoir. Elle sut trouver l’attitude qui convenait à son sexe et à sa situation. Elle ne se sentait pas en état de juger seule ce que les événemens commandaient, elle ne voulut pas rompre seule les projets concertés avec son conseil et, en l’absence de Montauban, le déposséder du rôle qu’elle lui avait offert. Mais elle voulut que, si le cabinet et Montauban, placés en face de la Chambre et de la foule, jugeaient le sacrifice de ses droits nécessaire, ils ne fussent pas paralysés par la crainte de son opposition. « Je vous autorise, dit-elle aux députés, à retourner au Corps législatif et à dire au général de Palikao et à ses collègues que je m’en rapporte complètement à eux ; qu’ils sont libres de prendre la décision la plus conforme aux intérêts du pays ; que j’y adhérerai. »

Dans cette entrevue, chacun avait fait son devoir. M. Buffet et ses amis avaient eu le courage le plus difficile à des hommes de cœur : celui d’enlever les dernières illusions à une grande infortune, de frapper une femme, de sacrifier toute sensibilité à l’intérêt public. L’impératrice avait su se sacrifier elle-même, et, au moment où allait finir son règne, montrer qu’elle n’était pas indigne du trône, sinon par la manière dont elle l’avait occupé, du moins par la manière dont elle savait en descendre.

L’entrevue ne devait pas avoir d’autres résultats. Il avait fallu à la députation, pour parvenir aux Tuileries, décider l’impératrice, et regagner le Palais-Bourbon, où elle arriva à une heure trois quarts, plus de temps que la patience des hommes n’en accordait désormais à l’empire. A mesure que l’heure avançait sans ramener la députation, l’impatience d’en finir grandissait parmi les membres de la Chambre, et bientôt leur rendit nécessaire une autre solution à la place de celle qu’ils cessaient d’espérer.

C’est alors qu’entre le projet de la gauche et celui du gouvernement, seuls en présence, M. Thiers glissa sa proposition. Sans statuer en droit contre l’empire, et prononcer, comme la gauche, une déchéance solennelle, au nom d’une nécessité de fait, il invitait la Chambre à combler par une mesure provisoire le vide de l’autorité. Le projet était ainsi conçu :


Vu la vacance du pouvoir, la Chambre nomme une commission de gouvernement et de défense nationale. Une Constituante sera convoquée dès que les circonstances le permettront.


Nombre de députés dans la majorité déclarèrent à M. Thiers qu’ils reconnaissaient la sagesse de la mesure, que seulement ils répugnaient à déclarer la vacance du pouvoir, car c’était