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Déjà les députés étaient presque tous au Palais-Bourbon et les partis préparaient leurs résolutions. La gauche, compromise par ses infructueuses négociations avec la majorité, se sentait obligée de reconquérir par un acte d’énergie la confiance de Paris ; elle résolut de demander la déchéance de la dynastie impériale. Elle n’attendait pas que sa proposition fût votée, mais la brutalité même de la motion sommerait la majorité d’agir enfin. Que si l’inertie du Parlement se laissait devancer et vaincre par l’émeute, les députés républicains, par cette condamnation à mort de l’empire, marquaient d’avance leur place dans le gouvernement nouveau.

M. Schneider avait fort exactement prévu et annoncé à l’impératrice le sentiment de la majorité. Elle constatait que la personne de l’empereur, de l’impératrice, leur nom même, étaient devenus un excitant pour la colère publique, et que, sous peine de tout livrer à l’emportement populaire, il y avait urgence à voiler l’empire comme un emblème provocateur. Il n’y avait lieu ni à déchéance, ni à abdication, ni à avènement d’un nouveau prince : toutes ces solutions de droit étaient hors la compétence du Corps législatif ; et surtout la Révolution qui, moins que les rois encore, aime à attendre, ne laissait pas le loisir d’y songer. Il fallait une solution de fait, un gouvernement provisoire composé d’hommes populaires, devant qui l’émeute brisât sa force, derrière qui la dynastie devînt un instant invisible. Les vains efforts tentés depuis plusieurs semaines, pour introduire quelques membres nouveaux dans la régence, avaient du moins préparé le choix des personnes les plus aptes à la remplacer. Les députés républicains, qui pour faciliter les anciennes négociations, s’étaient abstenus de briguer aucune candidature, ne demandaient pas davantage à être représentés dans le gouvernement provisoire. M. Thiers s’était dérobé aussi : le prétexte était que son nom pouvait effrayer certains amis de l’empire, la raison qu’il ne se souciait pas de prêter ce nom à un pouvoir éphémère et chargé d’une tâche douloureuse. Les partis tombèrent d’accord pour former ce gouvernement provisoire avec Schneider, Trochu et Montauban. Schneider avait été choisi parce qu’il était le représentant naturel de la puissance parlementaire et s’était montré soucieux de l’étendre ; Trochu, parce qu’il apportait avec lui la popularité, le sacre des pouvoirs démocratiques ; Montauban, parce que recueillir le chef du ministère condamné serait faciliter la transition.

Restait un obstacle, toujours le même. La majorité n’osait pas usurper sur le droit de la régence, et déposséder, fût-ce dans l’intérêt de la dynastie, la souveraine. Il fallait qu’en acceptant de