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d’avant, la tiédeur de leur dévouement à l’empire, se trouveraient entraînées par l’honneur, l’esprit de corps et la colère, à suivre l’exemple et à se défendre. L’essentiel était donc de bien choisir les troupes, de bien les disposer et de bien les commander.

Or l’homme chargé de ce triple devoir était le général Trochu. Gouverneur de Paris, il avait toute la garnison de la place sous ses ordres. La loi sur l’état de siège avait étendu son autorité sur la garde nationale et sur la police. En ses mains étaient réunis tous les moyens de défendre l’empire, et cela paraissait à la régence le grand péril. Elle voyait le général mécontent et populaire. Elle n’avait pas oublié ses principes sur l’emploi de la force. Elle ne voulait pas confier sa défense à un homme que la victoire de l’émeute devait porter à la première place. Sans doute, agir sans Trochu était blesser gravement la loi et l’homme : mais hommes et lois doivent céder au salut public. Montauban écrivit, le 3, au général Soumain, qui, sous les ordres de Trochu, commandait la 1re division militaire, c’est-à-dire Paris. Le ministre lui prescrivait de protéger contre des troubles possibles les pouvoirs publics, et ajoutait que « les dispositions à prendre n’ayant pas trait à la défense de Paris, le général devait communiquer avec le ministre seul pour leur exécution. » Ce faux prétexte, que le gouverneur de Paris était uniquement chargé de conduire le siège, ne pouvait abuser un soldat sur la violation du droit militaire ordonnée par le chef de l’armée. Le général Soumain, pour dégager sa propre responsabilité, fit connaître au général Trochu, par une lettre, l’ordre ministériel.

Trochu, absent depuis le matin pour visiter les ouvrages, trouva la lettre à sept heures du soir, quand il rentra au Louvre, et apprit à la fois la ruine de notre armée et l’impuissance où on le réduisait. Son chef d’état-major, le général Schmitz, fut d’avis que cette mesure faisait au gouverneur, outre l’offense, une situation fausse, et qu’il en fallait sortir par une démission immédiate. Trochu réfléchit aux conséquences. Jusqu’ici il avait été à tort traité en complice de la révolution, mais se séparer en ce moment et avec éclat du gouvernement, ce serait la précipiter lui-même. Il était devenu le favori de l’opinion, le centre des espérances, et presque une idole à laquelle Paris rendait un culte continu de cris, d’adresses, et de manifestations. Il était un élément de la vie et de l’équilibre politiques. S’il se détachait du gouvernement, il ouvrait une brèche à l’émeute. Sa conscience ne voulut pas de ce rôle. Cette même popularité qui empêchait la régence de le destituer, le tenait lié, lui aussi, malgré ses griefs, à sa fonction. Il eut peur du mal qu’il pourrait faire, et dans celui qu’on lui faisait, il reconnut, sous l’offense, une faveur. Il avait