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et quand tu te la seras trouvée, enterre-la dans ton cœur, me disait-il en me montrant la place où battait le sien. Il en sortira un jour un bel arbre que tu planteras devant toi. Il sera à toi, à toi et aux tiens. Nul n’osera te défendre d’en cueillir les fruits. Quand tu seras fatigué, tu te coucheras sous son ombre. Il abritera ta vieillesse, et quand les forces enfin te manqueront, c’est au doux vent bruissant dans son feuillage que ton souffle expirant ira se réunir. »


XVIII

« Mais revenons, dit-il, — et après un visible effort : Quand Samuel eut distingué mes traits, ses yeux brillèrent un instant de joie et de reconnaissance; mais il était si près de sa fin qu’à peine d’abord avait-il pu me reconnaître. Il est vrai que j’étais fort changé d’habit et de visage. Ma barbe avait poussé. Quant à mon vêtement, il était ce qu’après treize mois de route en avaient fait les lianes épineuses, le soleil et les grandes eaux. Samuel n’avait pas non plus été averti de ma venue. La faute en était moins aux nombreux courriers que j’avais envoyés vers lui qu’à l’interprète arabe qu’au départ le sultan m’avait donné. Homme brave et hardi sans doute, mais qui ne savait d’anglais et de zanzibari que ce qu’il en faut pour dire des injures et demander les choses nécessaires à la vie.

« Dès que j’avais été signalé, le roi s’était porté à ma rencontre, accompagné d’une suite nombreuse. Après les reconnaissances et saints d’usage, il me dit, dans un anglais timide, l’état désespéré dans lequel se trouvait mon ami. Tandis que nous gravissions la pente du coteau, il prit part à mon chagrin, et, m’engageant à presser le pas pour ne point arriver trop tard, il me suivit malgré son âge.

« Parvenus sous le hangar enguirlandé de fleurs et avant de m’introduire à l’intérieur : « Les herbes sont impuissantes, me « dit-il, rien ne le peut plus sauver. Vois, nous avions déjà tout préparé d’avance : les aromates, la claie d’osier, et, pour l’ensevelir avec honneur, cette rare étoffe, rare et précieuse entre toutes, transmise de siècle en siècle et tramée pour mes ancêtres de plumes d’oiseaux d’espèces disparues. — Entre, reprit-il en s’avançant avec moi sur le seuil. S’il peut t’entendre et ne refuse point de t’écouter, rassure-le sur l’avenir que, redoutant pour nous, il doit redouter pour lui. Dis-lui à ton tour qu’en cessant de vivre, nous ne faisons que rendre à la nature ce qu’elle nous