Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/760

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans que nous l’eussions vu, lord Hyland s’était approché de nous pendant la harangue, et avec la voix, les yeux et sous l’aspect nouveau que j’ai déjà décrit :


« Pas plus que des chasseurs qui l’ont converti, dit-il, — après s’être réjoui de ma venue, — je ne pense pas mal de John-William Colenso. Je pense seulement que, si Dieu ne s’était point retiré de lui et qu’une grâce contraire à celle qui lui donnait la foi n’avait pas agi en lui, l’évêque de Natal n’eût ni pu, ni voulu se rendre à aucune preuve. Si Dieu lui fût resté sensible, il n’eût rien écouté de ceux-ci, ni de personne.

« Prouver est impossible en telles matières. D’où qu’elles viennent et à quelque affirmation qu’elles aillent, les preuves ne valent rien, l’insécurité où elles nous laissent est la même. Elles ne sont bonnes ni pour croire ni pour nier. Négative ou positive, la foi, ou si vous aimez mieux, la confiance suffit. L’une ou l’autre n’entre en nous et ne se soutient que par un don de sentiment que, dans l’un ou l’autre cas, ni nos mérites, ni notre volonté, ni notre désir, ni surtout notre raison ne nous obtiennent.

« C’est par sentiment que l’on croit, c’est par sentiment que l’on nie. En changeant de foi, l’évêque de Natal n’a fait, sans s’en douter et malgré lui, que changer de sentiment. La raison n’a été pour rien dans ses divers états de conscience. Il a fait tour à tour comme les théologiens et les philosophes, — et c’est au nombre de ces derniers que je me permets de vous ranger, mon cher beau-père, — qui tous ne font que sentir quand ils croient qu’ils raisonnent. »


XVI

Quand nous fûmes seuls, je dis d’abord à lord Hyland comment les journaux m’avaient instruit des principales péripéties de son voyage, et, afin de mieux m’assurer ses confidences, j’insistai sur l’évidente fantaisie de leurs informations.


« Sans doute, me répondit-il en souriant, mes historiens et mes illustrateurs se sont trompés en mille endroits. Ils ont fait comme ils ont pu, ils ont donné les fausses nouvelles que le public réclamait d’eux ; elles n’ont pas cependant été si mal inventées que vous dites. Le continent noir est assez fréquenté en cette fin de siècle, pour qu’en s’aidant des derniers récits parus, ceux-ci soient souvent mieux tombés dans leurs inventions que