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bien que je n’y puis résister moi-même. Soyez persuadé d’ailleurs que si, dans leur intérêt même, j’avais essayé de m’opposer aux désordres que celui-ci amène sur mon bateau, les passagers se seraient tous tournés contre moi, qu’ils m’en eussent voulu de les défendre. Mes directeurs, qui ne sont pas marins, auraient blâmé eux-mêmes mon manque de tact, et ma situation peut-être eût été compromise.

« Aussi, dans le salon commun, ai-je laissé installer l’espèce de grand bureau démontable que, dès le premier jour, son valet a tiré de trois caisses numérotées et remonté par morceaux. De même que de sonner la cloche à toute heure du jour pour les réunions, j’ai dû permettre à mes matelots de distribuer les brochures. Ce sont les mêmes raisons qui m’ont fait manquer à tous mes devoirs en autorisant Sa Grâce à se substituer à moi pour les prières officielles du dimanche; les mêmes raisons enfin qui, lorsque mon chauffeur nègre et mon matelot hindou furent parés dans le hamac funèbre, m’ont empêché de diriger moi-même l’immersion. »


Il s’en fallait cependant que le bon commandant fût au bout de ses peines, et lui-même n’aurait jamais imaginé qu’il allait être forcé d’en venir où il en vint.

Arrivés à Aden où nous devions ne rester que deux heures, lord Hyland en effet lui demanda de vouloir bien attendre le courrier de Zanzibar qui ne pouvait tarder et apportait certainement des nouvelles de Samuel dont on ne savait rien depuis six mois. Le malheureux Hector opposa les règlemens, les horaires, les services postaux, les citoyens et l’État lésés, rien n’y fit.

Toutefois n’avait-il accordé qu’un jour.

Nous en attendîmes cinq, sous le rocher noir et la citadelle de ce port incandescent. Lord Hyland avait d’ailleurs offert de payer à la compagnie et aux passagers les indemnités nécessaires. Les passagers, à l’unanimité, refusèrent toute indemnité, et, consultée télégraphiquement, la compagnie répondit qu’elle autorisait la relâche et s’en remettait au noble lord pour le règlement du prix.

Tout cela pour Samuel! me disais-je assez mécontent de notre position. En valait-il la peine et surtout était-ce bien l’homme que lord Hyland m’avait représenté? Le Très Honorable et lui, ne me paraissaient point s’entendre sur son compte. Un doute s’élevait dans mon esprit et je me demandais qui des deux avait raison.

J’interrogeai le commandant Hector qui, non seulement avait eu plusieurs fois Samuel à son bord, mais connaissait sa famille.