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noble et la plus clairvoyante des femmes eût, sur ce seul point, perdu tout discernement.

« Chez elle, cependant, cette disposition alla si loin que l’annonce de ma conversion n’amena sur ses lèvres aucune des paroles auxquelles j’avais droit de m’attendre. Elle l’accueillit avec autant d’indulgence que mes pires folies. Elle n’en fut intérieurement touchée que dans la mesure où elle put aider à mes nouveaux projets. Son zèle aies soutenir fut admirable : mais elle ne parvint jamais à se rendre compte ni de leur mérite ni de leur utilité. Je me fusse fait Turc qu’elle l’eût pris de même et m’eût, de même, soutenu.

« Il est vrai que l’assistant à ses derniers momens je lui fis comprendre... »

Mais il n’acheva pas.


VI

Il y a des mortes que nous n’avons jamais connues et qui pourtant nous sont chères. Celle-ci devait me devenir plus chère encore, lorsque plus tard, à Londres, dans le salon d’étude où pour la première fois lord Hyland me reçut, j’eus vu d’elle un admirable portrait, où la noble beauté du paysage encadrait celle de toute sa personne. Avec des traits arrêtés, elle avait une douceur de physionomie singulière, et avec des yeux parlans, d’ardens et purs regards qui répondaient de l’immense amour qui intérieurement l’avait consumée. Mais la harpe galloise sur laquelle s’appuyait sa main blanche et les fières chansons qu’évoquait l’antique instrument, me firent peut-être encore mieux comprendre les hardiesses de son indulgence et le grand cœur qui les avait osées.

Je ne doutais pas, en effet, qu’au pays où elle était née, les vieilles chansons, autrefois chantées sous les chênes, n’eussent gardé assez de vertu pour agir en elle. Chansons mutilées d’âge en âge et redites par lambeaux, mais d’esprit sublime, qui recommandent de tout aimer, puisque tout est vivant. Inspirées de la terre, du ciel et des eaux qu’elles proclament, en lui apprenant à se confondre elle-même humblement dans les choses, peut-être lui avaient-elles fait sentir que les hommes non plus ne méritent ni fâcherie ni dégoût, qu’ils sont comme la pierre qui tombe ou la tige qui s’élève et qu’en leurs actions indistinctes, elle devait adorer l’effort mystérieux d’un monde où, aux dépens de chaque être et en dépit du mécompte, tout n’est qu’ordre, mouvement et beauté!