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imposent davantage. La situation exceptionnellement favorisée que j’aurai occupée en ce monde ne manquera pas non plus de réveiller l’attention. Les hommes sont si vains que même ce qui a brillé et qui n’est plus les attire encore. Ma vie, en tout cas, et les particularités singulières qui l’ont accompagnée pourront intéresser ceux qui cherchent et qui songent, et, en les rencontrant dans un même homme, leur offrir un exemple plus frappant.

« Aux uns, alors, peut-être ferez-vous comprendre que l’amour du prochain ne se lie pas nécessairement aux vérités essentielles que les sectes enseignent; aux autres, que leur négation ne les oblige pas à nuire, et que vous-même en avez connu un, parmi eux, qui ne put véritablement aimer ses semblables que lorsqu’il fut libre de Dieu. »


I

Je lis la connaissance de lord Hyland sur le bateau qui nous ramena de Ceylan à Suez en 188...

Ce bateau était un grand bateau de l’East India Company, un très grand bateau, long de trois cent trente coudées, large et haut en proportion. Son nom, le Samson, donnait tout de suite à entendre que non seulement ceux qui l’avaient construit, étant Anglais, lisaient la Bible, mais qu’ils comptaient encore sur la force de leur bâtiment comme les Danites sur celle de Samson lui-même.

Il était en acier, en effet, et brûlait cent vingt tonnes de charbon par jour, autant par nuit. Sa masse et sa vitesse étaient telles que, pendant le dernier voyage, il avait, de son étrave, coupé en deux un bateau d’égale grandeur sans aucun dommage pour lui ; ce qui donnait confiance aux passagers, — à lord Hyland lui-même, — et l’avait fait choisir de préférence.

Le Samson était à triple étage ; et une sorte de château central, surmonté d’une plate-forme, l’élevait encore au-dessus des flots. Ses deux cheminées semblaient deux tours. N’ayant point de mâts, il n’avait point de voiles, mais pour rappeler les blanches ailes, du moins sa coque était-elle peinte en blanc. Tel qu’il était enfin et qu’au départ nous l’avions vu dans le port de Colombo, le Samson n’avait plus du tout l’air d’un bateau. On eût plutôt dit d’un des monumens d’une de nos grandes capitales, d’un hôpital ou d’un ministère, ou, si vous l’aimez mieux, de quelque immense casino.

Cette dernière comparaison cependant eût été, de toutes, la moins exacte. Car si nous eûmes nos malades et nos morts, et si, pendant les vingt-deux jours de traversée, lord Hyland écrivit