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de moi, ce fut d’elles, des deux têtes blondes qu’il m’entretint tout d’abord et dont, en me les nommant, il me fît admirer les ravissantes miniatures.

Lord Hyland était fort changé d’aspect et de visage ; les joues pâlissantes, les traits, les mains, le corps diminués, les yeux seulement plus limpides, plus clairs que je ne les avais jamais vus.

Il sourit en voyant que je l’examinais, et me demanda si, comme le premier médecin de la Reine, — qui s’entêtait pourtant à le vouloir soigner, — moi aussi j’allais lui dire qu’il vivrait cent ans et, par excès de flatterie, qu’un personnage de son importance ne pouvait mourir?


« Je ne crains pas la mort, comme le croit cet habile homme, me dit-il, je ne la crains ni ne la méprise. Ainsi que la naissance de ces deux chers enfans en qui je me sens une joie mystérieuse à revivre, j’envisage ma mort comme un de ces merveilleux ouvrages auxquels se plaît la nature. Tout en ignorant le but et les fins qu’elle-même se propose, j’ai le sentiment que le sort qui nous est réservé n’est point pour inquiéter celui qui s’y résigne. Des millions et des millions d’hommes sont morts avant moi, dont nous ne savons rien que ce que les vivans nous en disent, et la ferme confiance que j’ai de leur éternel repos, autant qu’elle me soulage pour eux, me rassure pour moi.

« Croyez bien que, si je vous parle ainsi, reprit-il, ce n’est point tant pour vanter la résignation et la tranquillité auxquelles mon esprit se prépare, que pour vous rendre compte de l’intime et dernière nuance du changement intérieur qu’il y a longtemps déjà je vous ai révélé. A nul autre qu’à vous, je n’en avais fait part, et, depuis vous, personne n’a su l’extraordinaire retournement qui, de la Foi la plus éprouvée, m’a fait passer, sans dommage, au sentiment le plus contraire.

« Je n’avais déjà que trop et trop différemment occupé les autres de ma personne, pour vouloir soulever un nouveau scandale, dont ma conduite extérieure ne rendait point l’éclat nécessaire. Les miens eux-mêmes m’ont plutôt deviné que compris. Ils s’en sont tenus aux heureux effets qu’ils furent les premiers à ressentir. L’idée qui conduit nos actions peut être indifférente. S’il y a plusieurs manières de croire et mille façons de penser, il n’y en a qu’une d’être humain aux hommes, et, tels qu’ils sont ou qu’ils veulent être, en compatissant à tous, de tous les aimer.

« Quand j’aurai cessé de vivre, continua-t-il en me serrant les mains, il sera bon cependant que, sans m’épargner en rien, vous disiez la vérité en ce qui me touche. Les morts sont mieux crus que les vivans. Les paroles et les actes qu’on rapporte d’eux