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quitté la salle des délibérations. La crise était ouverte, sans que personne s’en montrât bien ému. Depuis quelques mois déjà, le ministère de M. Dupuy paraissait usé : on s’attendait à sa chute d’un jour à l’autre. Après tout, il était bien tombé et sur un bon terrain. Tout le monde pensait que M. le président de la République avait prévu l’événement et avait songé aux moyens d’y faire face. Nul ne savait, en dehors des ministres, en quel état d’esprit était M. Casimir-Perier et quelles résolutions définitives il avait arrêtées déjà dans sa pensée.

Aussi la surprise, la stupéfaction ont-elles été profondes lorsque, après un jour écoulé, on a appris qu’il avait joint sa démission à celle du cabinet. On avait approuvé M. Casimir-Perier lorsque, en prenant possession de la présidence, il avait annoncé l’intention de ne pas demander le renouvellement de son mandat ; mais on avait compris en même temps qu’il le remplirait jusqu’à son terme légal, ou du moins qu’il ferait pour cela tous les efforts qui dépendaient de lui. Le défaut des institutions républicaines en elles-mêmes, et ce défaut est encore aggravé par la manière dont nous les pratiquons, est l’instabilité qu’elles présentent dans presque tous les élémens de l’organisation politique. Nos ministères durent six mois en moyenne, ce qui est le provisoire au pouvoir. La Chambre des députés dure quatre ans, ce qui est peu, ce qui même n’est pas assez. Seuls, le Sénat et la Présidence de la République représentent tant bien que mal la durée ; mais c’est surtout à la Présidence qu’elle est nécessaire, moins encore pour introduire un peu de fixité dans nos institutions intérieures que pour en donner le sentiment au dehors. L’Europe ne reconnaît plus un pays où elle voit sans cesse des figures nouvelles, mobiles et changeantes, se succéder comme dans un perpétuel vertige. Elle sait gré aux présidens de la République de durer. Elle a eu de la considération et de la confiance pour M. Grévy et pour M. Carnot: ils étaient à ses yeux une garantie. Si, par malheur, nos présidens suivaient à l’avenir l’exemple de M. Casimir-Perier, la force morale qui nous reste s’en trouverait très affaiblie. Les journaux royalistes se sont plu, comme c’était leur droit, à passer en revue nos présidens successifs pour constater qu’aucun d’entre eux n’était arrivé à la fin de son mandat. Il serait trop facile de retourner contre eux le même argument, et de leur demander combien de rois ou d’empereurs, depuis Louis XV, sont morts sur le trône et ont été inhumés à Saint-Denis. C’est précisément parce qu’elle ne peut plus nous assurer sa propre permanence, et que l’hérédité est devenue, chez nous, une fiction, une illusion, une ironie, qu’il a fallu renoncer à la monarchie. Quant (aux présidens de la république, est-il vrai qu’ils aient mérité le reproche qu’on leur adresse? M. Thiers n’avait pas ce titre : il était chef du pouvoir exécutif; il dépendait d’une assemblée souveraine et n’a pas pu être victime d’une constitution qui n’existait pas encore. M. le maréchal de Mac-Mahon a été un homme