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l’humeur s’aigrira en prétention politique : il en restera de la cendre et du sang.

Cherchons dans le cœur de ce botaniste candide le principe de l’aigreur politique. A l’Oratoire d’Angers, où il fit ses classes, il était bon élève, mais il n’obtenait que les seconds prix : les premiers appartenaient sans examen au fils du syndic de la noblesse d’Anjou. On jouait des pièces, et le jeune hobereau avait un rôle de grand seigneur, avec un bel habit et une longue épée. « Pour nous, ignobile vulgus, nous jouâmes des rôles tout à fait plébéiens. » — Toutes ces pages sont à lire; elles se rattachent par un lien infrangible à celles qui racontent la convocation des assemblées provinciales et la rédaction des cahiers, où Lareveillère inscrit l’abolition des privilèges, des droits féodaux, du célibat des prêtres : « Je fis circuler en même temps un pamphlet sur la noblesse et le clergé, qui fut bien accueilli. » Lors de la réunion des députés à Angers, notre auteur quitte pour la première fois le doux crayon qui n’a tracé jusque-là, dans ses entours, que des portraits d’hommes vertueux et éclairés, uniformément sympathiques; les profils grimaçans, odieux, se pressent sous sa plume : ce sont les représentans de la noblesse. Tel le duc de Praslin, « petit génie, très ignorant, très vain et passablement insolent. » Après le dîner des trois ordres, aigre et long récit des façons hautaines, des avertissemens protecteurs que messieurs du Tiers ont dû subir, que Lareveillère a relevés, il l’affirme du moins, avec une heureuse présence d’esprit. A peine arrivé à Versailles, le petit clerc de procureur se dresse sur ses ergots comme un jeune coq. lia fait entendre le premier à M. de Brézé, s’il faut l’en croire, des paroles toutes semblables à la fameuse riposte de Mirabeau. C’était dans l’église Saint-Louis, à l’entrée de la procession, la veille de l’ouverture des États. Deux rangées de bancs étaient disposées dans la nef, pour le clergé et la noblesse ; on avait reculé dans les nefs latérales les bancs destinés aux députés du Tiers. Ceux-ci, marchant en tête de la procession, entrèrent les premiers dans l’église et s’assirent par mégarde sur les bancs réservés aux ordres privilégiés: M. de Brézé vint les inviter à céder la place. Lareveillère le prit de haut avec « le superbe courtisan »; il rapporte complaisamment leur long colloque, terminé par cette apostrophe : « Eh quoi! monsieur le marquis, vous avez assez peu tenu compte; du progrès des lumières et de l’état présent des esprits pour ne pas vous apercevoir qu’il ne s’agit plus ici des Etats de 1614? Allez, monsieur, donner vos ordres ailleurs: vous n’en avez point à donner ici ! »

Le grand maître des cérémonies se troubla, s’éloigna, déconcerté, — c’est toujours Lareveillère qui parle. — Malheureusement,