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seul je mène à la barque d’Isis. Je veux faire de toi un lotus pur, une âme d’éternité. Allons, courage ! — Tu m’entraînes ? Affreux déchirement !… Mon ombre qui pleure, et la terre qui disparaît… »

Les voilà à la limite du monde sublunaire, appelée muraille de fer par le Livre des morts. Sa sortie est gardée, selon les prêtres égyptiens, par des esprits élémentaires, dont la fluidité revêt toutes les formes animales et humaines. Âmes semi-conscientes des élémens, protoplasmes d âmes futures sans individualité fixe ; l’atmosphère terrestre est leur habitacle. Ils assaillent aussi bien l’homme vivant qui veut pénétrer dans l’invisible par la magie que l’âme défunte qui veut sortir de l’Amenti pour entrer dans la région céleste. Ces gardiens du seuil sont représentés dans la mythologie égyptienne par les cynocéphales. Anubis à tête de chacal est leur maître. Les Grecs en ont fait Cerbère. Le Génie de l’Âme, Hermès les écarte d’un geste royal et d’un éclair de son sceptre fait une trouée dans leur multitude tourbillonnante. Les voilà hors de l’attraction terrestre. Comme un globe de feu, le soleil émerge des sombres abîmes de l’espace. L’âme le regarde en face, éblouie par son disque. — Tu vois Ammon-Râ, le dieu des planètes, lui dit Hermès, et ce n’est que l’ombre du dieu de Vérité. Mais il renferme ses effluves créateurs. Regarde bien et ne tremble pas. Car sur son disque vont t’apparaître les sept dieux, verbes du dieu unique. Si tu supportes leur éclat, tu deviendras le juge de ta propre âme. Les sept dieux apparaissent successivement comme de blanches fulgurations sur le disque rouge. Ils disent à l’âme : « Nous t’avons donné nos souffles : la justice et la miséricorde, la science et la beauté, la sagesse et l’amour et la force. T’en souviens-tu ? Qu’en as-tu fait dans le monde du mensonge et des ténèbres ? » À chacun de ces noms, l’âme se sent traversée d’un coup de foudre. À chacun, elle voit s’ouvrir la splendeur d’un ciel retrouvé. En même temps, elle voit la misère et la noirceur de sa vie terrestre. Défaillante à la fin, elle s’écrie : « L’ombre se désespère ! L’ombre agonise ! Je la sens qui m’appelle d’en bas. Descendons ! » Ils rejoignent la zone qui enferme la terre comme une couche de verre opaque. Leur passage y ouvre une trouée. Puis le gouffre noir se referme sur eux, et les voilà replongés dans le cercle douloureux des générations, dans les limbes de l’Amenti. Effarée, l’âme regarde tour à tour son Génie lumineux au casque ailé, au sceptre tutélaire et l’ombre noire

    proue. C’est l’aspiration au monde divin. — Le serpent Aker est l’atmosphère élémentaire de la terre et de son attraction, la sphère sublunaire, soumise à la loi du désir, de la génération et de la mort. — Le lieu d’anéantissement est une région spéciale où sont détruites les âmes en qui prédomine le mal.