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phètes dédaignent de léguer au monde autre chose que leur pensée. Ils disparaissent sans trace, laissant en lettres de feu leur verbe et leur volonté sur le front des siècles, qui souvent les portent sans les comprendre. Les peintures qui ornent les sept chapelles d’initiation sont d’une beauté singulière et d’une éloquence frappante. Leur série correspond au septénaire cosmogonique et humain. La barque du soleil, qui les traverse, montre, sous le voile transparent du symbole, l’arche sainte et le centre lumineux de la doctrine hermétique des Égyptiens. Allons donc les voir sur place.

Aussi bien notre bateau est-il déjà amarré au village de Bellianèh, et nous voilà lancés au trot de nos ânes à travers l’immense plaine cultivée et verdoyante. Pendant deux heures nous traversons ce paradis de la vie agricole. Pas plus qu’à Éleusis on ne se croirait au seuil des enfers. Les champs de blé vert ondulent, rayés de colzas dorés. Hommes et garçons épars dans les champs sont beaux comme de jeunes éphèbes. Ils descendent, dit-on, d’une tribu de Bédouins. Aussi ont-ils quelque chose de libre et de fier qui les distingue des fellahs. Des adolescens, avec des mouvemens gracieux de faunes dansans, exécutent, sur une flûte à deux roseaux pareille à la syrinx antique, une mélodie capricieuse et champêtre. De petits Davids de douze ans lancent des pierres dans l’azur avec des frondes tressées en fibres de palmiers, et les colombes bleues qui picorent dans les champs de fèves s’enfuient à tire-d’aile pour se replonger plus loin dans les verdures drues et embaumées. Enfin des maisons en briques sèches se dessinent entre deux bois de palmes sombres, sur l’arête grise des monts libyens. Brusquement le sol a changé d’aspect. On marche sur des monceaux de pierres, de roches, de décombres. Derrière le village apparaît, au ras du sol, un temple à peine dégagé des collines environnantes par les fouilles. Il est bâti en hémi-spéos ou en demi-grotte, c’est-à-dire que le corps de l’édifice s’appuie à la colline et sert d’entrée au sanctuaire excavé dans le roc. Il ne reste que les soubassemens du pylône et des deux cours d’entrée. On pénètre dans les deux salles hypostyles par une façade en calcaire blanc à sept portes. Un demi-jour tombe de la partie effondrée de la toiture. Vaguement il éclaire les hiéroglyphes et les figures divines qui recouvrent les murailles et les colonnes. Immense bibliothèque de pierre, où les Dieux anciens ne semblent plus que des rides vénérables au front d’un vieillard immémorial. Mais entrons dans l’une des sept chapelles du sanctuaire, et c’est tout à coup un éblouissement de lumière. Recouvertes de stuc blanc, avec d’admirables peintures en relief creux, fraîches