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i. — les symboles primordiaux : la pyramide et le sphinx

La tradition antique et moderne a fait instinctivement de la Pyramide et du Sphinx les symboles de l’Égypte. Ce sont ses armes parlantes dans la mêlée des religions. Aujourd’hui que cette civilisation a disparu depuis près de deux mille ans, ces monumens la représentent et la résument encore à tous les yeux comme les signes mystérieux et sûrs d’une idéographie universelle. Ces deux symboles sont, à vrai dire, le point de départ et la synthèse primitive de la religion égyptienne. En y joignant un troisième emblème, le disque ailé du soleil, nous aurons serré en un faisceau les clefs de l’Égypte sacrée. Comme pour mieux nous prouver que ce sont des signes essentiels et très anciens, leur trinité grandiose se présente à nous en un groupe saisissant, taillé en traits gigantesques, au seuil du désert, sur le plateau rocheux de Gizèh, là même où l’on a trouvé les plus vieilles inscriptions de l’ancien empire et des premières dynasties.

Elles règnent encore sur le pays et de loin elles hantent l’habitant comme le voyageur, les vieilles pyramides de la chaîne libyque, marquant les nécropoles de Zaouyet-el-Aryan, d’Abousir, de Sakkara et de Daschour. De la crête poudreuse du Mokkatam comme des quais populeux de la ville, de la pointe de l’île de Raoudah comme de la dahabièh qui remonte le fleuve, on les aperçoit noires, jaunes ou pourpres, selon l’heure du jour, mais immuables dans leur forme triangulaire, sentinelles de pierre montrant le chemin de la haute Égypte. Vues du port du vieux Caire, celles de Gizèh ressemblent à trois tentes étagées en coulisse, l’une derrière l’autre. Mais on passe le magnifique et vaste pont en fil de fer de Kasr-el-Nil et les superbes allées de sycomores de Gézirèh ; on traverse l’autre bras du fleuve, et l’on s’engage sur la grande chaussée plantée d’acacias qui s’en va droit sur la pyramide de Ghéops. Celle-ci commence à grandir, cachant presque ses sœurs rivales dérobées derrière elle. Les marchés de fellahs, qui animent les bords de la chaussée avec leurs ânes, leurs tas d’oranges et de cannes à sucre, ont disparu. On ne voit plus des deux côtés que l’immense plaine verte et germinante ; terre fertile d’alluvion, si vaste, si uniforme, que fleuves, canaux, villages et jardins s’y confondent et s’y noient sous la royauté de la grande ligne horizontale. Mais devant nous, entre les feuillages touffus des arbres, se lève démesurément le colossal mausolée. Brusquement la verdure cesse, et la pyramide se dresse seule, libre, imposante dans le ciel clair, sur le plateau nu où monte un chemin de sable blanc.

Une trentaine de Bédouins s’abat comme une nuée d’éperviers