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que dit le souffleur. Un acteur qui, à la scène, dans les conditions ordinaires, se tromperait, sans que nous entendions la phrase soufflée, ferait beaucoup moins rire. Dans la bouffonnerie précédente, si nous supprimions le rôle du souffleur, l’effet serait détruit : il resterait de l’extravagance pure et simple. Cette remarque prouve déjà une vérité importante : c’est la phrase soufflée, présente à notre esprit, qui rend plaisante l’extravagance débitée par l’acteur.

Choisissons une de ces extravagances ; par exemple la phrase : « Salut mes bons compagnons d’Arles! Salut aux nez creux ! » Quand nous l’entendons, notre première impression est très simple : nous ne comprenons pas, nous trouvons cette phrase absurde; il nous semble que l’acteur est devenu fou. Jusque-là rien de risible : un pur non-sens. Mais aussitôt une réflexion rapide nous fait tout comprendre : l’acteur a mal entendu le souffleur : il répète tout bonnement ce qu’il a entendu. Rien de plus ordinaire, rien de plus banal. Il arrive tous les jours qu’un homme entende mal ce qu’on lui dit et le répète de travers. C’est alors que nous rions. Il est évident que ces deux impressions n’en font en réalité qu’une seule; que je les sépare seulement pour la clarté de l’analyse. Mais il est évident aussi qu’elles se produisent en nous, et qu’il suffit d’un peu d’attention pour les distinguer. Ce cas ressemble donc aux autres. Ici encore un même mot d’un côté est absurde, et de l’autre naturel.

Enfin le jeu de mots, le vulgaire calembour, repose sur le même principe. Soit, par exemple, le calembour classique des Saltimbanques : « Sauvons la caisse. » Au premier moment, ce mot nous paraît baroque : il n’y a pas là de caisse, c’est-à-dire de coffre-fort à sauver. Mais aussitôt le mot nous paraît très juste : nous songeons qu’il s’agit de la grosse caisse. Nous disons : « Ah! c’est vrai », et nous rions. — Soit encore le mot de Figaro à Basile. Basile dit : « Je ne veux pas lutter contre le pot de fer, moi qui ne suis... » Figaro termine : « Qu’une cruche. » Ce mot : « Qu’une cruche », nous paraît d’abord absurde, contraire à toutes les convenances; c’est une insulte si triviale qu’elle en est extravagante; nous en sommes comme effrayés et un peu scandalisés. Mais tout de suite nous la trouvons très juste : nous pensons au pot de terre et au pot de fer. Cruche n’est qu’un synonyme, plutôt humiliant, mais exact. Et puis le mot nous paraît encore juste d’une autre façon, comme définition de Basile. Ainsi le calembour plaisant est un mot qui est en même temps absurde et très juste, surprenant et presque prévu.

Que font maintenant les journalistes facétieux, qui se proposent l’étrange tâche d’égayer périodiquement le Gil Blas, le