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tous les États de l’Amérique du Sud, les États de l’extrême Orient, et, en Europe, la Russie, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, même l’Autriche-Hongrie. Encore le phénomène du change n’est-il lui-même que l’effet de causes économiques plus générales dont l’action s’est fait sentir surtout depuis cinq années.

Les banques d’émission européennes ont augmenté, durant cette période, de plus de 2 100 millions de francs en or leurs encaisses métalliques. L’encaisse de la Banque de France a dépassé 2 milliards il y a quelques semaines, et atteint déjà 2 100 millions.

Comment s’est produit cet afflux de métal jaune? Avant 1890, la France et l’Angleterre ne cessaient de prêter au reste du monde. Les pays débiteurs payaient les intérêts de leurs dettes extérieures et subvenaient en outre à toutes sortes de dépenses extravagantes, au moyen d’emprunts constamment répétés. Telle a été l’histoire des prêts de l’Europe occidentale à la Turquie, à l’Egypte, à l’Espagne, au Pérou, entre 1860 et 1875; plus tard à l’Autriche-Hongrie, à l’Italie, au Portugal; plus récemment aux colonies australiennes, au Brésil, à la République Argentine. Depuis trois années, tout est changé. La crise Baring a marqué la fin de cette longue période de relations de crédit toujours renouvelé entre les pays créanciers et les pays débiteurs. Ceux-là ne prêtent plus. Ceux-ci ne paient plus l’intérêt de leurs dettes, ou ne le paient que partiellement, ou le paient en marchandises. Le numéraire les a peu à peu abandonnés, leur monnaie nationale de papier s’est dépréciée par l’abus des émissions. Les prix de leurs produits ont alors baissé, non par rapport à leur monnaie, papier ou argent, mais par rapport à l’or, qu’ils avaient tout expédié en Europe, et qui restait l’unique mesure de valeur dans les pays créanciers.

Ainsi les pays débiteurs, ne recevant plus de subsides de l’Europe occidentale[1], ont d’abord donné tout leur or. Une fois dépouillés de leur métal jaune, ne pouvant s’acquitter avec l’argent, devenu marchandise et soumis à la même dépréciation que les autres denrées, ils envoyèrent en masses considérables leurs produits naturels aux pays créanciers. Ceux-ci auraient tiré un splendide profit de l’universelle baisse de prix qui en résulta, s’ils n’en avaient d’abord éprouvé le contre-coup par la dépréciation simultanée des denrées qu’ils produisent comme les pays exotiques, par exemple le blé, le sucre, la soie. La masse des consommateurs bénéficiait du phénomène, mais l’agriculture en pâtissait au point que, pour la sauver, les gouvernemens ont dû recourir au pis aller de la protection, et, comme on ne pouvait protéger l’agriculture

  1. On peut juger, à certains symptômes, qu’ils vont bientôt recommencer à en recevoir.