Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à mesure que la dépréciation du métal blanc devenait plus forte. Elle a été accélérée dans ces derniers temps par l’abrogation de la loi Sherman aux États-Unis et par la fermeture des Monnaies de l’Inde, c’est-à-dire par une action précipitée de la législation anti-argentière. Que vaut contre ce grand fait l’explication des monométallistes, la surproduction de toutes les denrées, y compris celle de l’argent ? Les bimétallistes nient un peu témérairement la surproduction de l’argent, mais ils demandent où est la surproduction du froment, de l’avoine, du maïs. Les prix n’ont pas cessé de fléchir, même dans les années où ces produits étaient en réduction de volume.

Pour les bimétallistes ou argentiers américains, la situation actuelle, avec ses crises répétées, sa langueur d’affaires, ses souffrances croissantes, est le résultat de la fraude gigantesque commise il y a vingt ans par le puissant syndicat de l’or, dont l’action embrasse tous les pays de haute civilisation. « L’étalon d’or, disent-ils, a été introduit en 1873 comme un coup de surprise, imposé à un congrès ignorant par l’impudente rouerie[1] d’une coalition internationale de millionnaires, sans que le peuple des États-Unis fût consulté, sans même qu’il fût informé. Cet arrangement artificiel a eu pour résultat de voler les innombrables légions de débiteurs et de faire entrer le produit du vol dans les poches d’un petit nombre d’hommes appartenant à la classe des créanciers. » Nous demandons, ajoutent-ils en forme de conclusion, « qu’une autre combinaison internationale, honnête celle-là, et qui aura pour elle la sanction de l’histoire, l’autorité de la science, le témoignage de l’expérience, rétablisse une relation fixe de valeur entre l’or et l’argent monnayés, et restitue ainsi au métal blanc, dans le système monétaire, le rôle dont on l’a indûment dépouillé. »

Les erreurs, sinon les sophismes, abondent dans ce plaidoyer. Il est impossible d’admettre l’argument de la rareté de l’or, alors que la production de ce métal, depuis 1890 notamment, s’accroît avec une si remarquable rapidité[2]. La vérité est que depuis 1873 le total de la monnaie métallique s’est augmenté dans une proportion suffisante pour parer à tous les accroissemens de population et de besoins d’achat, et que les autres espèces de monnaie ou de modes de paiement (papier, chèques, viremens, bureaux de compensation) se sont développés parallèlement. Il n’y a pas eu,

  1. Voyez sur cette question la Revue du 1er juin 1886, la Question de l’Argent aux États-Unis.
  2. En 1890, 778 000 kilogrammes valant 616 millions de francs; en 1893, 834 000 kil. valant 806 millions. L’augmentation est surtout énorme au Transvaal qui a produit, en 1894, environ 180 millions de francs.