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plus forte en Angleterre, où aucun droit d’entrée ne la protège, qu’en France, où, jusqu’à présent, en dépit de toutes les dénégations, les prix de vente protégés ont laissé à l’ensemble de la production agricole un bénéfice, si minime qu’il soit. Dans notre dernier Mouvement économique, nous avons esquissé le tableau de cette misère agricole de la Grande-Bretagne. Les faits que nous signalions alors se sont aggravés dans ces derniers mois, puisque le blé, qui se cote à Londres par quarter de 290 litres, vaut 20 shillings le quarter, ce qui correspond à 8 fr. 68 l’hectolitre et à 11 fr. 55 le quintal. En septembre, le prix est descendu jus- qu’à 18 shillings, et nous ne parlons pas des cours auxquels se sont effectuées des transactions sur certains marchés locaux, à 16 et 14 shillings le quarter, le blé d’une bonne partie de la récolte anglaise de 1894 étant humide et décoloré.

Le prix de 20 shillings le quarter est le plus bas qui ait été vu en Angleterre depuis le XVIe siècle, époque où les espèces par rapport aux marchandises avaient une valeur bien supérieure à la parité actuelle. Les prix des autres céréales, sans être aussi avilis, ont aussi considérablement baissé. On a calculé qu’en Angleterre le blé, au poids, vaut actuellement moins que l’orge, l’avoine et le maïs. Voilà ce que l’avilissement de valeur du froment a produit dans le pays du libre-échange absolu.

La baisse des prix des céréales, on ne saurait trop le rappeler, n’est qu’un cas particulier du grand fait qui domine actuellement toute la situation économique dans le monde entier : la baisse continue des valeurs de toutes les denrées de consommation générale. Toutefois, pour le blé, il est facile de reconnaître que la cause immédiate est l’accroissement de la production universelle. Les évaluations les plus autorisées établissent cette production à 789 millions d’hectolitres en moyenne par année pendant les trois années 1888-90, et à 861 millions pour la période triennale suivante. Pour autant que l’on peut avancer un chiffre au sujet du rendement de 1894, celui de 870 à 880 millions d’hectolitres paraît le plus probable. Les données relatives à la consommation sont naturellement plus vagues, et le chiffre de 820 millions qui a été présenté pour 1893 ne peut être accepté que sous toute réserve.

L’augmentation du rendement est donc considérable ; diverses causes atténuent pourtant l’importance de ce fait. La consommation s’accroît aussi, en même temps et plus vite même que la population, à cause du progrès du bien-être dans les classes les plus pauvres, chez toutes les nations civilisées. Il est, de plus, remarquable que, dans un des pays les plus grands producteurs