Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/561

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la concurrence produit la stagnation et rabaissement du salaire. Les plaintes éclatent ainsi d’un côté comme de l’autre, aussi amères, aussi violentes, contre la gêne universelle.

Au congrès des syndicats agricoles tenu en août à Lyon, M. Le Trésor de la Rocque a montré un autre aspect du péril : la mortalité dans les campagnes ne dépasse pas 19,85 par 1 000 habitans, tandis qu’elle s’élève à 27,11 pour 100 dans les villes. En vingt ans la France a donc perdu 700 000 habitans qu’elle aurait sans doute conservés si l’agriculture avait été moins appauvrie par les charges fiscales, mieux protégée contre la concurrence étrangère. « La désertion de la campagne, tel a été l’effet produit par l’invasion du phylloxéra dans la vallée du Rhône, par la transformation des cultures dans notre Normandie. Tel serait, sur une bien autre échelle, le résultat de l’abandon de nos deux grandes cultures. Si notre agriculture cessait de produire du vin ou des céréales, nos campagnes ne perdraient pas moins de 8 à 10 millions d’habitans. »

Le péril est-il chimérique ? Convient-il de n’opposer que des sourires sceptiques aux Cassandres qui prédisent l’abandon de la culture du blé en France si les mesures les plus énergiques ne sont prises sans tarder ? Il suffit, pour constater la réalité du danger, de jeter les yeux sur ce qui se passe en Angleterre, où la vigne n’a jamais poussé, mais qui naguère était un grand pays de froment. Aujourd’hui, dans tout le Royaume-Uni, le blé n’est plus cultivé que sur moins de 2 millions d’acres (800 000 hectares) à peine un peu plus que le dixième de la superficie consacrée à la même culture en France. Il est vrai que sur ces 2 millions d’acres de choix, la culture est presque partout intensive et que le rendement y atteint 29 hectolitres à l’hectare. Mais la production totale ne dépasse pas, même avec cette proportion si forte de rendement, 23 millions d’hectolitres, alors que la consommation en exige 85. L’Angleterre doit acheter chaque année environ 60 millions d’hectolitres de blé à l’étranger. Que deviendrait-elle si quelque grand désastre un jour frappait d’une paralysie prolongée sa puissante marine ?

La France ne peut pas renoncer à la culture du blé, et d’autre part l’agriculture ne peut, dans sa situation actuelle, malgré la protection douanière, soutenir pendant bien longtemps une production à raison de 18 francs les 100 kilogrammes. Tels sont les deux termes essentiels du problème dont l’étude sollicite tous les esprits, à la solution duquel le gouvernement et les Chambres ont commencé de travailler dès la reprise de la dernière session.

On vient d’indiquer combien la dépression de l’agriculture est