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pays jeunes l’ont adopté les uns après les autres, et partout l’on disserte sur son efficacité. L’enthousiasme des premiers jours s’est affaibli. Les États-Unis, après avoir abusé du régime, ont résolu l’année dernière, sinon de renoncer à la panacée protectionniste, au moins de n’en plus accepter qu’une dose atténuée, et il y a lieu de penser que leur constitution économique en sera plutôt fortifiée qu’affaiblie. En Europe plusieurs États sont déjà revenus à la pratique des traités de commerce. La France n’est pas du nombre, ayant goûté de la protection sur le tard. On ne saurait prétendre qu’elle se montre très satisfaite des premiers résultats, mais elle veut continuer l’expérience et s’obstine dans l’isolement. Ceux-là se trompent sans doute qui ne voient que dans cette obstination la cause efficiente du malaise qui provoque tant de plaintes, mais les protectionnistes endurcis osent seuls affirmer qu’une barrière douanière est encore l’instrument le plus propre à favoriser l’essor des activités commerciales et industrielles.


I

Pour trouver dans les annales de l’agriculture française la mention d’une récolte de froment aussi belle que celle de 1894, il faut remonter jusqu’à vingt années en arrière. En 1874 la France produisit 133 millions d’hectolitres de blé. Le rendement de la dernière moisson est évalué à 121 millions, alors que la production dans les quatre dernières années avait varié entre 77 et 117 millions. La récolte du seigle, de l’orge, de l’avoine, n’est pas moins satisfaisante; nos vignobles enfin donneront 40 millions d’hectolitres de vin.

Au milieu de cette abondance exceptionnelle de production, jamais on n’a entendu l’agriculture exhaler des plaintes aussi vives. Le président d’un comice agricole du Nord disait il y a quelque temps : « L’agriculture se trouve, cette année, en présence d’une récolte abondante pour tous les produits du sol, et il semblerait que, devant cette situation, nos cultivateurs dussent être heureux et satisfaits. Il n’en est rien malheureusement. Par un concours d’événemens et de circonstances les plus néfastes, l’agriculture se trouve dans une situation plus précaire encore que les années précédentes. Les blés ne se vendent plus, ils se donnent. Il en est de même des autres céréales, comme de toutes les graines oléagineuses. Les lins ne trouvent acheteurs qu’à des prix qui ne couvrent même pas les frais de culture. Quant à la betterave, très pauvre jusqu’ici par suite des influences climatologiques, on se demande avec anxiété si elle arrivera à atteindre