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Une giroflée tremblait sur l’écusson de la porte. Des moineaux s’échappaient, effarouchés, d’entre les poutres noires qui soutenaient les étages. Rien ne répondait; rien ne passait derrière les vitres des quatre fenêtres à meneaux, si ce n’est le vent des corridors et le reflet d’un feu invisible. Je savais que les Espagnols n’aiment pas les questions des étrangers. J’ai continué ma route sans en savoir plus long.

De retour à Saint-Sébastien, j’ai vu au Jai-Alai, précisément sur le chemin de Renteria, plusieurs de ces fameuses parties de pelote, jouées à quatre, rouges contre bleus, qui seraient des plus amusantes sans la présence et les cris des bookmakers, debout au pied des gradins, et qui hurlent, suivant les chances de la lutte : « A dix contre deux, les rouges! A trois contre deux! A sept contre un ! » Il se perd ou se gagne là, dit-on, des sommes énormes, et il est bien évident que l’attrait du pari amène une moitié du public, entièrement composé d’hommes. Je préfère le côté plastique de la partie engagée. Les jeunes pelotaris, Basques ou Espagnols, sont admirables d’attitudes, de souplesse et de vigueur. Ils attrapent la balle au vol, quand elle revient, après avoir frappé le mur avec un bruit d’éclatement pareil à celui d’un pistolet; ils la cueillent dans leurs gouttières d’osier recourbées et la relancent, et la force de leur bras est telle que la pelote de peau de Pampelune, — la ville réputée, — traverse 30, 40 et jusqu’aux 65 mètres de la piste, en suivant une trajectoire assez tendue, pour rebondir contre la pierre et revenir sur les joueurs. Plusieurs de ceux que je vois là, devant moi, sont des « artistes » aussi renommés que nos premiers jockeys de courses. Ils ont débuté dans les frontons des villages de Biscaye et de Guipùzcoa. Maintenant ils se font payer des honoraires considérables par les directeurs des jeux de paume des grandes villes. Car la passion de la paume, longtemps spéciale aux pays basques, s’est répandue depuis quelques années dans presque toute l’Espagne. L’importation n’a pas été directe. On sait que les habitans des provinces du Nord, et particulièrement de la région pyrénéenne, émigrent en grand nombre dans les républiques de l’Amérique du Sud. Ils y ont porté leurs coutumes, leur langue et leurs jeux. Les Espagnols de la Castille ou de l’Andalousie émigrés avec eux ont appris la paume à Santiago, à Buenos-Ayres, à Lima, à Rio-de-Janeiro, et l’ont acclimatée, plus tard, dans la mère patrie. Aujourd’hui, les joueurs espagnols sont au moins les égaux des joueurs basques, les frontons se lèvent d’un bout à l’autre de la péninsule, et Madrid, déjà, en compte cinq ou six. Un seul d’entre eux, celui de Fiesta-Alegre, a coûté 750 000 piécettes.