Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/538

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il y a quelques terrassemens de date récente, des canons qui défendent l’entrée de la rade, et une caserne neuve. A la descente, sur la plate-forme où les soldats du 7e bataillon d’artillerie de forteresse font l’exercice, mon compagnon aborde un officier, et lui demande l’autorisation de visiter les chambrées, et les salles d’étude.

— Volontiers, je vais vous conduire moi-même. Mais d’abord, voyez ce jeu de paume que nous venons de construire pour nos hommes.

A droite des bâtimens, en effet, se dresse un petit « fronton », avec ses deux murs très élevés, son sol bien nivelé, sur le modèle de tous ceux que le moindre village basque possède à l’ombre de son église.

— Tous les régimens d’Espagne n’en ont pas, ajoute l’officier en souriant, mais ici, en plein pays basque, et sur un sommet qui retient un peu, quoi qu’on fasse, nos hommes prisonniers, nous avons voulu qu’on pût jouer une partie de paume. Le jeu est si sain, d’ailleurs, si bien inventé pour développer la force avec l’adresse ! Venez-vous ?

Nous suivons, et nous passons, successivement, dans toutes les salles de la caserne. Les murs sont blancs et propres, les chambres des soldats disposées comme les nôtres, avec un alignement moins scrupuleux des tuniques, des pantalons et des souliers sur les planches. Les lits se plient en deux, et se rangent autour de la pièce, laissant plus d’espace libre. J’entends peu de bruit, bien qu’il y ait des hommes disséminés partout où nous entrons, et la seule inspection rapide des physionomies révèle une race endurante, tranquille et facile, avec des dessous de passion qu’il ne faut pas heurter. Je comprends mieux ce qu’on m’a dit déjà: que la discipline en Espagne était et devait être moins rigoureuse qu’en France. Légère et paternelle, elle est acceptée : on ne sait trop où conduirait le régime des exigences outrées. Beaucoup de visages imberbes et beaucoup d’hommes de petite taille, mais presque toujours une fermeté virile de traits que je ne rencontrais pas en Italie, et comme un air de distinction naturelle. On me montre, dans le cabinet du sergent-major, le cahier de l’ordinaire. Il constate que les 93 soldats présens au fort ont reçu aujourd’hui, pour faire le rancho, leur nourriture ordinaire, les provisions suivantes: riz, 13 kil. 500; — viande, 10 kil. 500; — sel, 2 kilos; — garbanzos, 8 kilos; — pommes de terre, 42 kilos; — haricots, 13 kilos; — graisse, 2 kil. 500; — piment doux, 100 grammes. Tous les élémens du rancho sont bouillis ensemble, dans de belles marmites, d’un modèle récent, je crois.