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— et que les autres châteaux royaux, châteaux de la plaine ou de la montagne, paraissaient abandonnés sans regret pour ce palais de la mer. Ad multos annos ! C’est égal, le vieil Escorial doit être jaloux. J’irai le voir.

Je me promène, une partie de l’après-midi, avec une de ces personnes, l’un des plus érudits habitans de Saint-Sébastien, D. Pedro de Soraluce, le fils de l’historien de Ouendo. Ensemble, nous visitons le palais de la députation provinciale, très riche et très beau, digne d’une province dont les finances font envie au reste de l’Espagne. Ses privilèges anciens ont été jalousés aussi, et presque tous supprimés. Avec l’Alava et la Biscaye, elle avait, avant la guerre carliste, la liberté du tabac, de la poudre, et l’exemption de l’impôt du sang. Depuis 1876, elle a bien du mal à défendre les derniers restes de ses fueros. Les Basques ont dû subir le monopole du tabac, acheter leur poudre à l’État, faire le service militaire dans les armées d’Espagne : ils gardent seulement la liberté de s’imposer comme ils l’entendent. Les percepteurs du royaume n’ont aucun droit sur les contribuables, et ce sont les provinces elles-mêmes qui recouvrent l’impôt, par leurs agens, lorsqu’elles ont payé à l’Etat la somme annuelle qu’elles lui doivent. Encore ce débris d’autonomie est-il bien menacé. Quand M. Gladstone, au mois de janvier dernier, vint visiter le palais que je parcours en ce moment, il s’arrêta au milieu de l’escalier monumental, devant la grande verrière qui représente Alphonse VIII de Castille jurant les fueros, et demanda : « Le serment a-t-il été tenu? — Monsieur, répondit quelqu’un de la députation, nous respectons l’Espagne, mais l’Espagne ne respecte pas nos droits. »

Ils ont encore une belle vigueur de sang, ces hommes des provinces basques, et je ne sais quoi de frondeur, qui fait plaisir à rencontrer.

Mon guide me montre, dans le palais, la salle où se réunit la commission des monumens historiques et artistiques du Guipuzcoa, le petit musée qu’elle a commencé de réunir, les archives où figurent des pièces rares, inédites, et qu’il aime, lui, d’un amour vif et communicatif. « Approchez, me dit-il, en tournant la clef d’une fenêtre de vitrine. Voici des échantillons de nos trouvailles. » Dans le nombre des textes parcourus en commun, épelés par moi, expliqués et commentés par lui, je distingue d’abord un diplôme où sont énumérés les titres des rois d’Espagne. A côté des titres connus et d’usage courant, roi catholique des Espagnes et des Indes, de Naples, de Jérusalem, de Navarre, etc., archiduc de Tyrol, comte de Barcelone et de Roussillon, duc de Cantabrie, seigneur de Biscaye, etc., il y a ces mentions, nouvelles au moins