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inspirés. Arrivés là, on est dans le domaine de la fantaisie la plus débridée. Un homme d’esprit disait de M. Crispi qu’il avait vécu si longtemps dans l’opposition et dans les conspirations qu’il ne savait plus distinguer le vrai du faux : cet humoriste aurait-il raison ? Au surplus, quelle que soit la cause du rappel de M. Ressman, nous ne pouvons que le regretter s’il est définitif. Assurément, le gouvernement italien est libre de se faire représenter auprès de nous par qui il voudra, et son ambassadeur sera toujours assuré de recevoir ici l’accueil qui lui est dû. Mais M. Ressman était à Paris depuis si longtemps qu’il paraissait s’y plaire et qu’on aimait à l’y voir. Nul n’était plus soucieux que lui des intérêts de son pays et ne savait mieux les défendre ; il n’en a jamais négligé aucun. Toutefois, il était de ces diplomates qui croient de leur devoir, sans rien compromettre, et souvent même sans rien céder, de mettre une bonne volonté sincère à maintenir de bons rapports entre leur pays et celui où ils sont accrédités. Il ne pensait pas que le métier d’un ambassadeur fût de faire naître ou d’envenimer des conflits, et, lorsque les difficultés naissaient d’elles-mêmes, il s’appliquait à les résoudre dans une transaction équitable dont ni l’Italie ni la France n’avaient à se plaindre. Ce caractère, heureusement, n’appartenait pas en propre à M. Ressman : il y a près de nous d’autres ambassadeurs qui en sont aussi doués, et c’est grâce aux uns et aux autres qu’à travers des incidens parfois très délicats, non seulement la paix, mais une entente réelle ont été conservées entre les divers gouvernemens de l’Europe depuis près d’un quart de siècle. Un ambassadeur peut être rappelé par son gouvernement pour les motifs les plus divers, motifs dont nous ne sommes pas juges et qu’il serait aujourd’hui indiscret de rechercher : il nous est permis toutefois de donner à ceux qui nous quittent un dernier témoignage de sympathie. M. Ressman a beaucoup fait pour que son pays et le nôtre vécussent en bon voisinage : en somme, il y a réussi, et, quel qu’il soit, son successeur lui devra beaucoup si, comme nous n’en doutons pas, il se propose le même but.


Les journaux de Bruxelles annoncent que le gouvernement est sur le point de déposer devant les Chambres un projet de loi qui annexerait définitivement l’État du Congo à la Belgique. Cette nouvelle n’a rien d’imprévu : on devait s’attendre à ce que l’annexion dont il s’agit eût lieu un jour ou l’autre. Depuis longtemps le roi Léopold prépare ce dénouement avec une habileté et une persévérance qui ne se sont jamais démenties. On n’a pas oublié qu’en 1890 il avait annoncé déjà l’intention de léguer l’État du Congo à la Belgique, tout en demandant aux Chambres le vote d’un emprunt considérable. Le roi Léopold franchissait une étape très importante dans la voie où il s’est engagé, mais cette étape ne devait pas être la dernière, et un peu plus tôt ou un peu plus tard, la question de l’annexion du Congo à la