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moustiquaire faite d’étoffe légère. Ils se considèrent très heureux, si, au réveil, leur sang n’a pas alimenté un monde de suceurs.

Voici un autre genre de danger qui menace les collectionneurs dans ces parages. « À l’époque de la floraison du Cœlogyne asperata, nommé aussi souvent Cœlogyne Lowi, je m’étais rendu, écrit un voyageur, sur les bords de la rivière Amboan, où cette Orchidée croît en abondance. Je fis halte, vers le sàir, devant une maison indigène, où je me proposais de passer la nuit, et j’ordonnai à mes hommes de veiller sur les armes et de faire les préparatifs du souper. Les Dayaks étaient occupés a ce moment à trier le riz pour les semailles ; hommes, femmes, enfans, étaient réunis dans le kampong et travaillaient avec ardeur, car les graines devaient être semées le lendemain. Ils m’accueillirent bien, néanmoins, et je m’installai pour prendre le repos dont j’avais grand besoin. Vers dix heures du soir, un vacarme affreux me réveilla ; il semblait qu’une foule fût assemblée devant la maison et s’efforçât de faire le plus de bruit possible ; au bout d’un instant je vis apparaître une dizaine de vieilles femmes qui frappaient sur d’énormes gongs en forme de casseroles ; elles étaient suivies de quinze ou vingt jeunes filles, portant dans leurs mains de gros bouquets de Cœlogyne asperata et ayant dans les cheveux des guirlandes de ces fleurs. Cette singulière procession entra dans l’habitation sans cesser un instant son assourdissant tapage ; on plaça devant les femmes des caisses remplies de riz, et les jeunes filles y déposèrent à gauche et à droite les grappes fleuries qui ornaient leur tôle. Deux fillettes de cinq à six ans s’avancèrent alors, et ramassèrent ces fleurs, puis elles les répandirent, celles de gauche dans les caisses qui contenaient les graines, celles de droite devant ces caisses.

« La musique se tut ; la cérémonie paraissait terminée. Je pus alors me renseigner auprès des Dayaks sur cette pompe qui m’intriguait fort, et voici ce que j’appris. Dans ces populations naïves, qui font toujours volontiers des dieux des objets naturels qui leur sont utiles, les semailles, comme la moisson, sont une des grandes fêtes de l’année, car la subsistance de la famille en dépend. Or, la joie était d’autant plus grande ce jour-là que les Cœlogyne asperata avaient produit des fleurs en abondance, ce qui, selon la croyance des Dayaks, est le présage d’une bonne récolte.

« Cependant les femmes avaient laissé là leur moisson ; le parfum qui s’en exhalait était si puissant, que je fus obligé de quitter la maison et d’aller passer la nuit dans ma chaloupe.

« Quelques jours plus tard, en revenant de mon expédition, je repassai dans cet endroit vers le soir, et je m’arrêtai devant le